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Le corps franc Zavaro

Rédigé par Alain dans la rubrique Brigade Rac, Maquis Parachutage Réseau

Dernièrement j’ai acquis cet exemplaire du livre ‘La Brigade Rac’ par le Capitaine Fred avec une dédicace de l’auteur à Maurice Zavaro. Un chapitre est dédié au récit d'un parachutage peu ordinaire conté par Guy Lapeyronnie, dit Lapeup.

Bien que nous soyons le corps franc Zavaro, on nous appelle aussi le Groupe de parachutage ‑ et il y a une raison à cela. Je vais essayer de vous l’expliquer.

Notre camp, qui se trouve à la ferme Chabard, à la Borderie, a été choisi car le terrain qui touche à cette ferme a été homologué par des spécialistes comme terrain de parachutage. C’est l’endroit le plus haut et le plus plat de la région, bien dégagé, sur‑ quelques 500 mètres de côté. Il est le terrain idéal pour recevoir ce qui nous manque (des armes venues du ciel).

Nous avons installé une superbe lunette d’approche (que nous avons fauchée à la Défense aérienne du territoire, D.A.T.). Elle tourne autour d’un axe, monté sur un énorme pied en fonte. Cette magnifique jumelle nous permet de scruter le ciel tous azimuts, et nous nous sommes organisés de façon à toujours laisser au moins deux hommes au camp.

La nuit, nous montons la garde de deux heures en deux heures par équipe de deux. Nous sommes très entraînés, car les avions qui passent et les fausses alertes de parachutage ne manquent pas. En un temps record, la nuit, nous allumons nos feux, faisant marcher le signal. Mais jamais rien ne tombe du ciel, nous sommes désolés car, en fait d’armes, malgré notre appellation de corps franc, nous n’avons pas grand chose : quelques pétoires de récupération, fusils de chasse, etc. Pour ma part, j’ai un revolver 6/35 avec lequel on ne tuerait pas une vache dans un couloir.

La désolation est complète chaque fois qu’il passe un avion et que ce dernier ne lâche rien. Et quel travail! rassembler les fagots, allumer le feu; parfois il pleut, il y a du vent, et ce n’est guère facile. Imaginez faire la lettre L ou la lettre Y pour un avion venant de Londres ou d’Alger. Cette lettre doit avoir 100 mètres de long et doit être tracée par des feux. A la base de la lettre un feu blanc avec lequel on fait le signal convenu : trois points ‑ trois traits.

Mais il arrive souvent que lorsqu’on a fait la lettre L et que l’avion passe indifférent, on se demande s’il ne fallait pas faire la lettre Y. En attendant, les jours passent et rien, rien ne vient.

Depuis quelques jours, le bricoleur que je suis a une idée en tête, et cette idée me poursuit le jour et la nuit. Je vais, avec des batteries et des feux rouges de camions, faire les deux lettres dans la même, il me suffit de mettre des interrupteurs qui me permettront d’éteindre au moment voulu une partie du L pour allumer le Y : de cette façon lorsque les avions auront repéré une lettre, s’ils restent indifférents à mes signaux, immédiatement je ferai l’autre.

Un phare de voiture me sert pour le signal blanc. Je suis à peu près sûr de mon stratagème, j’ai fait une maquette et je pense que tout marchera à merveille.

Bien entendu, lorsque je fais part de ma découverte aux copains, tout le monde se fout de moi. Enfin, qu'est‑ce qu’on risque, puisque de toute façon nous ne recevons rien ?

Les deux chefs Zavaro et Herter me font confiance, et tout fier de ma découverte, je m’en vais à Nontron en quête de matériel; fils électriques, interrupteurs, feux rouges pour camions, les plus gros possibles; j’ai fait tous les garages pour trouver ça; enfin j’ai tout, avec deux batteries chargées. Revenu au camp, je me mets au travail. Nous ne pouvons disposer du pré que dans la soirée, car il y a des vaches et, bien sûr, elles ne manqueraient pas d’aller se prendre dans les fils électriques; mais les soirées de juin sont longues, et les parachutages se font de nuit. Enfin, j’ai déroulé mon fil, installé mes feux rouges, avec l’aide de un ou deux camarades assez sceptiques quant au résultat, mais de braves types qui font tout ce que je leur demande.

La nuit arrive et, ô merveille, tout fonctionne. Un petit coup de pouce sur l‘interrupteur et le L s’allume, un coup sur l’autre interrupteur et le L s’éteint pour que le Y brille comme par miracle. Nous attendons une partie de la nuit, les hommes de garde se relaient de deux heures en deux heures, et, bien sûr, comme si une cabale était dirigée contre moi, nous n’entendons pas un vrombissement de moteur de toute la nuit. Au matin, je démonte tout (il faut penser aux vaches), et le lendemain soir, vers 18 heures, branle-bas de combat au groupe : tout le monde part à Saint‑Saud recueillir un parachutage qui doit être largué. Le chef désigne deux hommes qui resteront au camp : Lapeyronnie et Pieyzalinet.

Nous regardons partir nos camarades avec un peu d’amertume, car eux, enfin, vont avoir un parachutage! et je pense que s’ils captent leur parachutage à Saint‑Saud, nous, à Nontron, à 25 kilomètres, nous n’avons aucune chance. Nous sommes des sacrifiés.

Enfin, la rage au cœur, je décide tout de même de refaire mon installation de la veille, mais cette fois, sous une pluie battante. Le ciel est bas, il fait sombre et je suis triste.

Je vais retrouver ce brave Pieyzalinet afin de casser une petite croûte pour marquer le repas du soir. La ferme, bruyante d’habitude, est d’un calme impressionnant; il ne reste plus que M. et Mme Chalard, leurs filles et nous deux. La nuit, avec ce temps affreux, vient assez vite, et nous causons afin de passer le temps. Tout à coup, mon camarade me fait part de son intention d’aller se coucher. Je reste donc seul à monter la garde, car nous avons décidé de nous partager la nuit.

Blotti dans un coin de porte, j’attends, le col relevé, car il ne fait pas très chaud : la nuit a rafraîchi le temps. Je regarde ma montre à la lueur de mon briquet, il est minuit. Soudain, il me semble entendre un ronronnement de moteur (mais vous savez, c’est un peu comme un mirage dans le désert : à force d’écouter, les oreilles tendues, il vous semble toujours entendre un moteur).

Pourtant, je ne rêve pas : dans ce silence impressionnant, ce n’est pas un avion que j’entends, mais deux. Mon sang ne fait qu’un tour, et je me précipite dans le pré pour allumer mes feux rouges.

Il n’y a plus de doute, les avions se rapprochent encore, tournent, retournent et enfin passent sur le terrain à faible altitude pour mieux voir. La lettre Y est allumée.

Je me précipite à la grange où mon copain est en train de ronfler comme un bienheureux. Je le secoue tel un prunier et lui crie : « Viens vite ! cette fois, on le tient ! Les avions tournent sur le terrain ». Il me répond dans un demi‑sommeil

« Et si c’étaient les Boches! » ‑ « Nous ferions un slalom géant au milieu du pré ! ». Et je m’en vais en courant, laissant mon coéquipier à ses réflexions.

Les avions tournent toujours mais ne lâchent rien. Je fais le signal avec le phare, rien! Voilà mon camarade qui arrive à toute vitesse. Je change de lettre, je passe au L; les avions, à ce moment, prennent le terrain dans le bon sens et alors, chers amis, quel spectacle!. Dix‑sept parachutes de couleurs différentes au‑dessus de nos têtes ! Il faut avoir vécu des moment semblables, c’est inoubliable : dix‑sept fleurs merveilleuses dans le silence de cette nuit !

Nous nous regardons avec mon copain et nous nous étreignons, nous nous embrassons, tels des footballeurs ayant marqué un but en finale de coupe d’Europe. Nous sommes fous de joie. Mais il faut vite se ressaisir. En regardant autour de nous, à travers nos larmes de joie, nous nous apercevons qu’il n’y a pas un seul parachute sur le terrain. Où sont‑ils ?

La famille Chalard, réveillée par 1e passage de ces deux avions à basse altitude, vient à notre secours et nous nous mettons à chercher dans la direction prise par les parachutes. Nous battons les taillis, les prés, nous descendons vers la route qui va de Nontron à Saint-Martin-le-Pin. Il pleut toujours, nous sommes trempés. Mais si nous avons le corps froid sous nos vêtements mouillés, par contre, le cœur est chaud lorsque nous pensons à la tête que feront, demain matin, nos camarades et nos chefs au retour de leur expédition nocturne. Nous arrêtons là nos pensées et cherchons toujours, car il faut faire vite, il est maintenant 1 heure, 1 heure et demie. Il faut que, au lever du jour, il ne reste plus aucune trace de ce parachutage.

Soudain, miracle : dans un petit bois, entre deux routes, nos parachutes sont bien là, il y en a seize dont certains containers dans les arbres, à plusieurs mètres de hauteur et à environ 300 mètres de la ferme. Tout de suite, j’analyse la situation, c’est un travail de romain, car nous ne sommes que deux et les filles et la belle‑fille de M. Chalard (ce dernier étant âgé). ne peuvent nous être d’un grand secours.

Il ne me restait plus qu’une chose à faire, réveiller les paysans des villages voisins qui ne dormaient que d’un œil, du fait des nombreux passages des avions en rase‑motte. Ces derniers attelèrent les bœufs aux charrettes, amenèrent des échelles, des haches et là, commença alors un travail des plus difficiles dans ce bois.

Un container pèse plus de cent kilos. O paysans des environs de la Borderie, comme nous vous remercions de l’aide que vous nous avez apportée, hommes, femmes, filles et enfants! une nuit de labeur acharné, toujours sous cette pluie qui tombait fine et froide!  Le matin, au petit jour (le jour se lève tôt au mois de juin), il n’y avait plus trace de rien. Tout le monde était rentré chez soi, fier du devoir accompli.

Lorsque nos camarades rentrèrent de leur expédition, bredouilles, car ils n’eurent pas le parachutage de Saint‑Saud ‑ c’est nous deux qui l’avions intercepté ‑ ils furent stupéfaits de l’aventure que nous venions de vivre.

Quelques heures après, mais assez tard dans la matinée, je vois arriver un brave homme de la Combe‑aux‑Crocs, qui demande à me parler à l’écart. Je fais quelques pas avec lui; il me dit : « Dis‑donc, cette nuit, vous n’avez rien reçu ? » Je fais l’étonné. « Il est tombé, dans mon jardin, une caisse avec un parachute ». C’était mon dix‑septième parachute qui comportait une caisse avec des instruments chirurgicaux et des produits pharmaceutiques. Ce parachutage important comportait : des fusils anglais, deux fusils‑mitrailleurs, mitraillettes Sten, carabines américaines, bazookas, plastic, grenades et chaussures.

Vers midi, nous faisions connaissance avec le lieutenant Cézard, alias « Rac », venu sur place, à La Borderie, se rendre compte du matériel parachuté et nous féliciter de notre action.