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Les fusillades de la Braconne

Rédigé par Alain dans la rubrique Lieu de mémoire

Dans le Forêt de la Braconne, le monument des fusillés rend hommage aux 16 charentais fusillés à cet endroit en 1943 et 1944.

Jean Barrière, Jean Gallois, les frères Marc et Marcel Népoux, Paul Bernard et René Michel sont fusillés le 5 mai 1943 dans une clairière de la forêt par un peloton SS pour "appartenance à une organisation illégale, complicité avec l'ennemi, actions de franc-tireurs et voies de fait contre la puissance occupante". 

Huit mois plus tard 7 membres des FTP, Amédée Berque, René Gillardie, Gérard Vandeputte, Marcel Baud, Pierre Camus, Pierre Gaborit et Raymond Corbiat et 3 membres de l'OCM, Robert Geoffroy, Francis Louvel et Armand Jean sont condamnés à mort et fusillés le 15 janvier 1944 au même endroit.

Voici un extrait du journal de la Section Spéciale de Sabotage "Nous les terroristes" écrit par Marc Leproux et imprimé en 1947.
Les fusillades de la Braconne : Le sacrifice
Les conséquences de l'affaire de Taponnant (fin d'août 1943) devaient se manifester dans toute leur gravité à la mi-janvier. Fin décembre un tribunal militaire allemand avait prononcé une série de condamnations à mort. Une poignée d'hommes courageux décident de sauver leurs camarades. Au premier rang nous trouvons Gérard Ferrand qui multiplie les démarches auprès du Préfet Daguerre. « Je comprends tout de suite, écrit-il, que pour affiliés au parti communiste il n'y a rien à espérer. J'insiste ; il reste inflexible, comme il le restera pour moi-même quelques mois après, donnant pour excuse que ma défense est impossible. 

Malgré tout, je ne me décourage pas et avec mon ami Blanchet nous montons à Paris et nous nous humilions devant un Jonceau (qui ne voulait pas nous recevoir) un Déat, un de Brinon pour tenter une dernière fois de leur arracher la vie de ils camarades. Je suis certain que si les malheureux avaient connu ces démarches ils nous auraient désapprouvés, mais je voyais plus loin..., les veuves, les orphelins..., l'oeuvre à poursuivre. Le chef de cabinet de de Brinon, M. Fournier, avant de nous introduire avait très bien compris puisqu'il disait à Jonceau devant nous : « Vous savez très bien que nos services sont impuissants à arrêter la formation de cette armée secrète » et se tournant vers nous « D'ailleurs vous devez être au courant, Messieurs, de cette résistance ? » C'est au cours de ce voyage que Ferrand et Blanchet aperçurent dans les rues de Paris Maurellet qui, après cette affaire, s'était réfugié dans la capitale.


C'est la mort dans l'âme que Ferrand et Blanchet regagnent Ruelle convaincus de l'inutilité de leurs démarches. Avec la ténacité qui le caractérise, Ferrand veut quand même espérer mais ne comptant plus sur « les puissants du jour » il se tourne vers les camarades des malheureux prisonniers. Il envisage la libération par la force. Lambert réussit à faire passer à sa famille un plan précis de la prison. L'attaque de cette dernière est envisagée. L'audace ne suffit pas

malheureusement pour une telle entreprise ; il faut aussi réunir des moyens. Ferrand s'y emploie, secondé en cela par Augier, Blanchet, Ballansac. Des jeunes, Karaquillo, les Délavé, J.L... sont prêts à passer à l'action, mais il faut des armes. Ils savent qu'il existe un reliquat des précédents parachutage qui n'est pas encore tombé aux mains de la Gestapo. Des démarches sont faites auprès de la femme d'un de ceux qui ont échappé à l'arrestation. Elle « se méfiant de ces hommes, dira-t-elle plus tard. Les moyens font donc défaut. Aussi, quand Jacques répondra à l'appel de Ferrand pour mettre l'affaire sur pied, il constatera avec amertume qu'il ne peut compter que sur six hommes mal armes. Dans ces conditions, quels que soient les courages, une pareille entreprise s'avère absolument impossible. Pourtant avec des moyens convenables, elle n'avait rien d'utopique comme le démontrera plus tard l'attaque de la prison de Cognac.



A la veille de l'exécution, Ferrand apprend que les fosses ont été creusées à la Braconne ; toujours pas d'armes ! Impossible donc de tenter une embuscade à la Poste Manquée comme il l'avait décidé en dernier ressort. Il en est désespéré.
Samedi 15 janvier 1944
Blanchet       Ferrand       Lafont

« Les poings serrés, dit-il, je regarde passer le fourgon qui emmène mes camarades au poteau d'exécution. Dans les rues, des groupes discutent. Je sais hélas ! le sujet de leur conversation ; je ne m'arrête pas ; j'entre chez mon ami René Lafont ; cinq minutes après arrive Mme Gillardie. Elle me sera la main. A t-elle vu ? sait elle l'épouvantable nouvelle ? J'évite de prolonger la conversation, je remonte chez moi, je ne tiens plus en place. Tard dans la soirée le téléphone retentit. Mme Lambert m'appelle chez elle immédiatement. Là, j'apprends les noms des fusillés : René Gillardie et Armand Jean sont parmi eux ! Il faut prévenir leurs familles. Terrible mission !

Le lendemain avec mon camarade Blanchet, nous décidons de nous rendre chez Mme Gillardie. Nexon et Mounet iront chez Mme Jean. Il faut à tout prix éviter à ces pauvres femmes l'attente vaine à la prison suivie de la remise brutale d'un petit bout de papier leur annonçant le décès de M. X... et les priant de se présenter tel jour pour retirer les objets lui ayant appartenu.

Je me souviendrai toujours de cette visite ! Je ne pouvais me décider à lui annoncer l'affreuse nouvelle. Brusquement Blanchet et moi éclatons en sanglots ; le voile était déchiré. Subitement une idée traverse mon esprit : ayant de « LES » venger, nous allons « LES » honorer.

Hommage aux fusillés.

Lundi 17 janvier

J'expose à Blanchet mon idée ; pas d'hésitation de sa part. Nous prenons rendez-vous pour acheter une couronne à Angoulême et nous décidons d'y associer notre ami Jean Ballansac qui partage nos idées. Munis de lunettes, concentrons dans le magasin « Au souvenir ». Nous sommes reçus par une jeune fille qui nous montre plusieurs couronnes. Nous demandons toujours plus beau. Cela l'inquiète. Elle nous soupçonne d'être des contrôleurs des prix et fait appel à son patron. M. Besse descend, nous les mettons en confiance, et il nous apporte deux superbes couronnes ; nous choisissons la plus belle, car il faut qu'elle attire l'attention et que les habitants de Ruelle, qui ne peuvent aller se recueillir devant les corps, viennent s'incliner au monument aux Morts, devant cette couronne, attestant ainsi leur affection et leur reconnaissance pour ceux qui se sont sacrifiés afin de hâter la libération du pays.


Le commerçant s'enquiert de l'inscription qu'il doit mettre ; nous lui répondons qu'il nous fournisse simplement les lettres et que nous ferons le nécessaire. Il a compris. L'inscription faite, le ruban tricolore épinglé, la couronne est soigneusement enveloppée.



Inauguration du monument des fusillés de la Braconne
sur la commune de Brie le 13 janvier 1946




Nous filons et passons devant la prison, première étape du calvaire de nos amis. Je rencontre René Lafont, très étonné de me voir à Angoulême. Mon air embarrassé le surprend ; alors franchement, je le mets au courant de ce que nous avons décidé. « Et tu allais faire ça sans m'avertir ? » dit-il simplement. Nous nous serions la main très émus. Nous voilà sur le chemin de Ruelle.

Chaque fois que nous rencontrons une voiture nous nous dissimulons. Enfin nous atteignons l'atelier de Blanchet ; il nous a fallu plus de deux heures pour venir d'Angoulême.

Nous décidons que Jean Ballansac, notre aîné, et ancien combattant de 14-18, déposera la couronne au monument aux Morts du cimetière. Blanchet va le chercher. A la vue de cette imposante couronne il change de visage ; des larmes lui montent aux yeux. Il dit simplement : « On y va Gérard ! » Jean ouvre la marche et nous le suivons quelques pas en arrière. Tout à coup une voiture surgit ! Jean se cache derrière un platane. La voiture passe ; nous repartons. Si nous ne pouvons pas pénétrer mars le grande porte, nous escaladerons le mur, comme des voleurs !

Après bien des efforts la porte cède avec un grincement qui nous semble retenir par toute la ville. Nous la refermons vite et restons immobiles un instant ; nous nous découvrons et à pas feutrés nous marchons vers le monument.
L'ancien combattant, Jean Ballansac, dépose pieusement la couronne ; nous nous recueillons un moment et rappelons quelques souvenirs. Le froid seul nous décide à partir. Une poignée de mains où chacun met tout son cœur... et nous quittons le cimetière. Nous nous séparons sans pouvoir échanger une seule parole, bouleversés d'émotion.



L'Association pour le Souvenir des Fusillés de la Braconne (ASFB) (lien)

Photos du monument : (lien)