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Brantôme du 25 au 26 mars 1944

Rédigé par Alain dans la rubrique Document et livre, Lieu de mémoire

Témoignage de Alphonse Puybarraud dit Marius né le 19 août 1922 à Thiviers et chef du groupe Daniel Lager. Ce témoignage apparaît pour la première fois dans l’ouvrage de Jean Freire Les Maquis au Combat imprimé en 1970, puis publié à plusieurs reprises par la suite.

Marius a fait ce témoignage quelques jours avant de décéder des suites d’un accident (il fut renversé par une voiture) survenu à Bordeaux, en décembre 1969.



Marius était responsable du camp des réfractaires Daniel Lager installé dans une ferme inhabitée des environs de Brantôme.Ce genre de camp recevait les jeunes volontaires, souvent des déserteurs S.T.O. , qui désirait s’enrôler dans la résistance armée. 
On leur donnait un minimum d’instruction militaire avant de les affecter à un groupe. Cette méthode présentait un autre avantage. Elle permettait de découvrir plus aisément les miliciens et la Gestapo qui essayaient d’infiltrer les maquis. Le camp était en général couvert par des unités composées de combattants confirmés et disposées stratégiquement dans un périmètre donnée. Il était ainsi à l’abri de toute attaque surprise. Enfin un point de repli était prévu à l’avance. Cette consigne était d’ailleurs valable pour tous les détachements.

Le 25 mars 1944, Marius est dans l’obligation de déguerpir. Les Allemands qui sillonnent la région ont repéré sa ferme. Avertis par la population, les maquisards du secteur doivent à nouveau disparaitre. Marius lui, a pas mal de matériel à faire suivre :

- Il me faut un camion…

J’envoie un groupe de huit hommes au nord de la Venise verte du Périgord, sur la route d’Angoulême. Mission : réquisition d’un véhicule. Arrivé sur les lieux, à proximité de l’embranchement de la nationale 675 qui mène à Nontron, le groupe se divise en deux équipes de quatre hommes de chaque coté de la route, camouflées dans les broussailles. 
Puis, c’est l’attente, longue, monotone, qui dura des heures. Pourtant voitures et camions circulent en grand nombre. Mais ils sont tous bourrés de purs aryens en uniforme vers-de-gris.

Nos jeunes gars sont de plus en plus nerveux. La haine, le désir de vengeance longtemps contenus éclatent soudain : on réglera son compte au premier véhicule qui se présentera. Les positions sont rectifiées. Le rôle de chacun est précisé. Et l’attente reprend un peu plus fiévreuse. Tout à coup, dans le lointain, à plusieurs centaines de mètres, un long coup de klaxon. Les cœurs battent un peu plus fort, les mains se crispent sur les armes. Les yeux brillent. Un coup de fusil déchire le silence revenu. C’est le signal donné par un camarade posté plus avant. 
Quelques secondes encore et apparaît, lancée à toute allure, une Citroën familiale avec trois passagers.

Mitraillettes et fusils partent en même temps en une formidable détonation. L’auto fait une embardée, passe au travers d’une haie, et s’immobilise dans un champ, le chauffeur effondré sur le Volant, le corps criblé de balles. Le deuxième occupant se dégage, fait face, une mitraillette au poing. C’est un officier. Pas de risques inutiles. Par le fossé qui borde la route, en rampant, nos maquisards lui tombent dessus. Une nouvelle rafale et l’homme est grièvement blessé. Il se rend en agitant un mouchoir rouge de sang. Les maquisards l’entourent. Il montre sa tempe du doigt et demande qu’on l’achève. Il est d’ailleurs agonisant. Il est mis un terme à ses souffrances.

Quoique blessé, le troisième passager s’est enfui, couvert par son camarade, en direction de Champagnac-de-Bel-Air. Il essaye de rejoindre le poste pour réclamer du secours. En cours de route, il tombe sur un patrouille qui circulait aux abords du camp en cours de déménagement. A la vue des maquisards, il esquisse un geste de défense : une rafale le couche mort au pied d’une vigne.

Ainsi, trois officiers supérieurs appartenant à un état-major divisionnaire avaient rendez-vous avec le destin, ce jour-là loin de chez eux, sur une route de France. Des débris de la voiture on devait extraire des papiers d’une importance considérable pour la Résistance locale. Sur des cartes d’état-major et des cartes Michelin, figuraient les emplacements exacts et très précis de la presque totalité des maquis de Dordogne.

Devant l’intérêt d’une telle découverte, les responsables départementaux sont immédiatement alertés. Quelques heures plus tard, Vincent prend connaissance des documents:

- Ils confirmaient ce que nous avions appris par ailleurs. Les nazis bien informés s’apprêtaient à nous tomber dessus dans le cadre d’une vaste opération

Nous sommes fin mars ne l’oublions pas. L’action de la Résistance est devenue telle qu’il leur faut réagir. Le capitaine Hambrecht, chef de la Gestapo de Périgueux, a reçu le renfort de la phalange africaine commandée par le sinistre Alex Villeplane. La milice a mobilisé toutes ses forces, et la division Brehmer lance ses colonnes de répression sur toutes les routes. Enfin, la Brigade Jesser spécialisée dans les opérations antiterroristes ne va pas tarder à faire son apparition. 
Pour les Allemands le premier problème à régler est celui du renseignement. Il faut situer l’ennemi, connaître l’emplacement de ses maquis, l’importance de ses forces, les complicités dont il bénéficie. Parmi les hommes de Marius figuraient des calques avec les noms et les adresses des personnes pouvant être utilisées comme guides, sur place. Nous avions sous les yeux la preuve que certains partisans de l’ordre nouveau ne se contentaient pas de chanter les louanges du vieux maréchal, de prôner la collaboration, de vilipender la raciale judéo-bolchevisto-gaulliste. Ils passaient carrément à l’ennemi. Ils étaient à sa disposition pour le guider, pour finalement l’aider à alimenter ses chambres de tortures, ses poteaux d’exécution, ses charniers, ses fours crématoires.

Plusieurs dispositions furent prises. Ordre fut donné d’appliquer immédiatement nos consignes antérieures de dispersion et d’éclatement. Aucun prétexte n’était admis pour justifier un retard quelconque dans l’application de cette mesure. Pratiquement, dans les jours qui suivirent, tous nos maquis déménagèrent. Les questions de sécurité firent l’objet d’une attention particulière. L’ennemi nous avait démontré que ses agents savaient travailler. C’était une leçon pour tous ceux qui négligeaient les principes élémentaires du travail clandestine. Le renforcement de nos liens avec la population patriote devait marcher de pair avec la mise hors d’état de nuire de tous les traitres. Ainsi fut fait.

Mais la mort des trois officiers provoqua une réaction immédiate et violente de la part des occupants. Dès lendemain, 26 mars 1944, vingt-cinq otages sont ramenés de la prison de Limoges et fusillés, ainsi qu’un domestique de ferme pris sur les lieux, dans une ancienne carrière désaffectée des environs de Brantôme. On se souvient que le 27 mars, vingt-trois autres personnes, ramenées également de Limoges, furent fusillées aux Rivières Basses. De plus, de nombreuses troupes investissent la région.

Dumas Georges fusillé
Sur toutes les routes d’innombrables camions et à tous les carrefours des mitrailleuses. Au sommet d’une colline, à proximité du petit village de Cantillac, les sentinelles du maquis ont donné l’alerte. Il faut disparaitre. Les hommes de Marius prennent la direction des bois les plus épais. Ils savent que les nazis répugnent à s’aventurer sous les hautes futaies. Ceux-ci se contentent en général de suivre les routes et les chemins. Mais, cette fois, les ordres sont formels : il faut capturer les maquisards. 
Et, brusquement, le ciel s’illumine aux quatre coins de l’horizon. Ils ont mis le feu à la forêt. Rapidement c’est une gigantesque fournaise. Pour en sortir, il faut traverser une route. C’est une course de vitesse… trop tard. Les Allemands sont là avec voitures légères et fusils mitrailleurs. Ils ouvrent le feu. En face, on n’a plus rien à perdre… On riposte aussitôt avec une vigueur qui surprend les nazis et sème le désarroi dans leurs rangs. Les quelques minutes de répit ainsi gagnées permettent de décrocher : direction Cantillac. Au village, impossible d’aller plus loin. L’ennemi est partout. Reste l’église…

Les maquisards s’y réfugient au moment où débouchent, sur la grand-place, devant la porte, camions et automitrailleuses. C’est la fouille méthodique de toutes les maisons. Les Allemands tentent d’ouvrir la lourde porte du temple de Dieu. A l’intérieur, les mitraillettes sont braquées, les grenades prêtes. Foutus pour foutus…. La porte ne cède pas. Ils vont chercher le sacristain. Celui-ci arrive. Il comprend aussitôt que les maquisards sont à l’intérieur.
A haute voix il affirme que seul le cure a la bonne clé et qu’il faut aller le chercher dans une commune voisine. Les Allemands n’insistent pas : Les maquisards n’ont pas pu pénétrer… ils sont ailleurs. Et ils repartent à la poursuite des insaisissables…

Le monument :



 Il est érigé sur les lieux du sacrifice, à la sortie nord de Brantôme, près de l’embranchement des routes de Nontron et d’Angoulême.  
26 noms y sont gravés car les nazis, dans le but de terroriser les populations, n'hésitèrent pas à massacrer un jeune garçon surpris à proximité de l’endroit où ils allaient perpétrer leur crime.

Voici la liste des victimes : 

Auzi Roger
Avril Emile
Bablet
Berger
Bois
Boucastel Maurice
Dumas Georges
Hane
Israel Pierre
Kasmierczak Vincent
Lafarge
Lassale
Levy Bernard
Maison Pierre
Mastalsky
Pradet Martial
Peypelut Gaston
Renoux
Roiffe
Richter Jacques
Rosensky Jacques
Rouyre Pierre
Rubinstein
Ruhfel Jules
Wronskit Casimir
Zafrin Salomon




La Phalange Africaine en Dordogne par Patrice Rolli (Lien)