ONGLETS

A.S. Dordogne Nord le 6 juin 1944

Rédigé par Alain dans la rubrique Brigade Rac

A la première émission du matin, De Gaulle lance un appel à la nation :

Pour les fils de France, où qu’ils soient, quels qu’ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre par tous les moyens dont ils disposent . Il s’agit de détruire l’ennemi qui écrase et souille la patrie, l’ennemi détesté, l’ennemi déshonoré (discours du 6 juin 1944).

De leur côté, à Périgueux, les M.U.R. ont fait imprimer l’affiche suivante :

Français,

L’heure de l’insurrection a sonnée, tous les hommes valides des classes 20 à 46 incluses doivent se présenter immédiatement (dans les vingt­-quatre heures) à la Mairie pour se faire recenser en vue de leur participation à la libération du territoire. Tout Français qui ne se conformerait pas au présent ordre sera considéré comme déserteur.

Cet appel, placardé à peu près partout par les légaux, touche tout le monde. Au cours de la journée, sur toutes les routes, de petits groupes vont se mettre en marche : ce sont des volontaires qui rejoignent le maquis le plus proche. Ils ont presque tous une musette, quelquefois un bidon, souvent une arme. Le secteur Nord a été structuré par Rac de telle manière que chacun de ses quatorze sous‑secteurs doit être en principe le lieu de rassemblement d’une Compagnie.

Le tissu de la brigade Rac
C’est à Saint‑Martin‑de‑Frayssengeas, au lieu dit « Les Trois Cailloux », dans un bois, qu’est installé le car P.C. du secteur Nord. Ce car, qui faisait le service Thiviers‑Lanouaille, a été réquisitionné à l’entreprise Sauthier. On ne peut l’apercevoir d’aucune des grandes routes, car n’oublions pas que Thiviers est occupé par la Milice et que des colonnes allemandes circulent en tous sens. Il n’y avait aucune voie pour pénétrer dans ce bois. Pierrot Couturier et son équipe ont du couper des baliveaux, faire zigzaguer l’encombrant véhicule parmi les grands arbres... un exploit dont on parlera longtemps.

Pierrot Couturier, adjudant d’active, va devenir le chef du secrétariat de Rac. Il a avec lui le caporal Robichon, spécialiste de la machine à écrire, et quelques plantons.Tout ce monde‑là, au petit matin, a revêtu sa tenue militaire, et ne se sépare plus de son arme individuelle. Tous couchent sous des marabouts faits avec des toiles de parachutes qui sont répartis autour du car : l’ensemble est tout à fait inattendu et ne manque pas de pittoresque.

Le car a été divisé en deux par une cloison légère, à l’avant a été aménagé le bureau du patron avec une grande table où sont étalées cartes Michelin et cartes d’état‑major.La partie arrière est réservée au secrétariat : là se trouvent les tables de Pierrot et de Robichon ainsi qu’un matelas pour les plantons.

Chaumette, fonctionnaire des P.T.T. à Nontron, a pris ses vacances. Il est venu mettre au point l’installation téléphonique ; le capitaine Chaumette va être, pendant toute la campagne 1944‑1945, le chef des transmissions de la Brigade. Il fait poser des fils pour relier le P. C. au réseau normal. Au moment où il va procéder aux essais, Rac arrive flanqué de « Tom » : tous deux sont en tenue.

Rac semble sortir d’une boîte, rasé de frais, ses belles bottes de cavalier bien cirées, son ceinturon, le baudrier : il est impeccable. Pour que sa tenue soit réglementaire, il doit avoir le brassard tricolore qu’en principe doit porter tout membre des Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.). Il a naturellement ce brassard car il doit donner l’exemple. Il y a eu tentative en vue de faire reconnaître les F.F.I. comme membres d’une armée régulière,  cependant les Allemands n’ont pas répondu à l’appel et continuent à fusiller tous les prisonniers qu’ils font.

Par représailles, les F.F.I. fusilleront, de leur côté ; mais une telle atrocité ne correspond pas au caractère français, cette pratique est vite abandonnée et on gardera les prisonniers.

La sonnerie du téléphone retentit : c’est Sarlandie qui rend compte de l’engagement qui a eu lieu le matin aux Piles, près de Périgueux, entre Violette et un convoi allemand ; des morts de part et d’autre ; tout le groupe remonte sur Payzac.

Rac appelle Robichon : Note çà, lui dit‑il, car à partir d’aujourd’hui, tu tiens le journal de marche du Régiment ; tu dois inscrire tous les faits importants, ça fait partie de ton boulot. Je rentre de Saint‑Saud, vous pouvez m’appeler chez « maman Lastère ».

Effectivement, à cette époque, Rac a dû abandonner provisoirement Thiviers, infesté de miliciens. Il a transporté ses pénates à Saint‑Saud.

Il a écrit dans ses souvenirs d’avant le 6 juin :

Saint‑Saud‑Lacoussière, capitale du maquis. C’est ainsi que l’appelait la rumeur publique, depuis avril 1944. Rac et sa famille sont repliés aux Forges‑de‑Saint‑Saud, chez les Joussely, cousins de Georges Lautrette, qui y exploitent une trentaine d’hectares. Ces braves gens, dont deux fils s’enrôlent à la Brigade, vivent, vous vous en doutez, des heures, des jours et des nuits d’angoisse. Aux Forges, on prend des messages, on reçoit des agents de liaison, on camoufle les véhicules, on stocke provisoirement le matériel des parachutages, on développe et on coupe les toiles des « parapluies du ciel », on y fait tout aux Forges. Ces braves gens acceptent, veillent en plus sur la famille de Rac comme s’il s’agissait de leurs propres enfants. Et puis il y a la présence du Chef de secteur, ce gars décuple les dangers. Les postes émetteurs cachés dans les ruches où les abeilles sont reines; la jument malade, les gosses à vélo sur la route sillonnée par les miliciens, le vin tiré au tonneau, la petite chambre éclairée grâce aux batteries de Georges, et puis cette permanente angoisse.

On y est bien aux Forges. Dire que cela est un P. C. est inexact; c’est un refuge, que certains connaissent, bien sûr. Puis c’est la maison Lastère, l’hôtel si vous voulez, avec la salle à manger, les chambres et le téléphone que Chaumette sait faire fonctionner à la perfection. Maman Lastère cuisine fort bien, à l’âtre. Nous y apprenons beaucoup de choses. Cette maison connaît le va‑et‑vient, c’est la maison du Bon Dieu. Chacun y trouve le gîte et le couvert au prix de quels sacrifices. Les premiers « banquets » si l’on peut s’exprimer ainsi, pour une période aussi troublée, sont servis chez Lastère dans les grandes occasions. Personne ne nous en voudra, l’accueil était si chaleureux et la table si bonne.