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Georges Lautrette et Jean Chabaneix : tués à Angoulême le 18 août 1944

Rédigé par Alain dans la rubrique PortraitBrigade RacAoût 1944 : Direction Angoulême


A la mémoire de Georges Lautrette « Eric » (responsable du parc automobile de la brigade Rac) et de Jean Chabaneix (adjudant du 9e Cie de la brigade Rac S.S.S.) tuéà l'ennemi à Angoulême le 18 août 1944


LEUR DERNIERE AVENTURE

(Récit de Raymond Ouzeau, paru dans le journal « Coude à Coude » de septembre 1946)

Le 17 août, nous repartons pour Angoulême.

Georges Lautrette, Dorne, le Grand Marcel, Jean Chabaneix, Léon Leymarie dit Pierrot, Locher père, le Petit Marcel et moi.

La camionnette et son chauffeur, l’inséparable Hotchkiss, nous conduisent à la même ferme que trois jours auparavant.

Nous formons quelques groupes et doucement nous nous rendons au « Bon Accueil », à S..., où demeure le Petit Marcel, pendant que ce dernier embrasse sa femme, Georges prend ses dispositions, forme les équipes et décide qu’on se retrouvera, échelonnés autant que possible, chez B... On demandera au garçon ... un vichy‑fraise !

Je fais équipe avec le Petit Marcel, nous partirons les derniers.

En tête, Georges et le Grand Marcel, après... Chabaneix et Locher, ensuite Dorne et Pierrot... et nous enfin.

Georges Lautrette « Eric »
Et chaque groupe de se glisser dans la foule des « frizous », des Hindous et de toute la racaille à la solde du nazi. Souvent, je m’assure que mon « pétard » ne met pas le nez à la fenêtre et que ma grenade se tient bien sage au fond de la poche de mon pantalon.

Nous nous retrouvons tous chez B... qui est littéralement submergé de marins italiens qui se chamaillent. Enfin, nous trouvons une place à l’intérieur où nous voyons Georges attablé avec la patronne, sa sueur et des amis d’Angoulême.

Nous buvons deux ou trois tournées qui nous sont servies sans commander, et le garçon nous murmure : « Hôtel de Bordeaux » ...

Nous partons tranquillement. Nous souperons là, y coucherons et le lendemain matin, à 10 heures, Georges viendra nous chercher dans nos chambres.

A son arrivée, il annonce qu’il y a du nouveau ! ... Grâce à des tuyaux qu’il a eu je ne sais où, et piloté par un carrier qui travaille non loin de la « cabane bambou », il est allé ce matin avec Locher parler au chef du poste allemand.

Ce dernier accepte de venir avec nous, mais sur ses dix hommes que compte le poste, trois sont douteux... On devra les abattre s’ils bougent. Il faut être sur place pour la soupe du soir... entre 19 heures et 19 heures un quart. Il y a du matériel, et trois camions sont nécessaires.

Alors qu’il parle, un beau gazo‑bois « Berliet » s’arrête devant l’hôtel. C’est un camion laitier à vide... Un seul chauffeur !

Viens avec moi, Pierrot ! dit Georges.

Ils sortent ensemble. Quelques minutes passent et... le camion repart, Pierrot à côté du chauffeur; ils simuleront une panne à proximité du rendez‑vous. Georges revient et continue :

Dorne ira s’allonger dans l’herbe, aussi près que possible du poste, pour surveiller, au cas où un piège nous serait tendu. Chabaneix, Locher « piqueront » un camion où ils pourront. Le Petit Marcel et moi... mêmes ordres. Georges et le Grand Marcel se débrouilleront dans le même sens.

Après un déjeuner rapide, chaque groupe va de son côté à la chasse aux camions. Mais Angoulême change de jour en jour, devient de plus en plus agité, et les camions sont réquisitionnés en masse par les « salopards ».

Aussi, nous arpentons les rues sans succès... Les rares camions civils qui circulent sont bondés de boches.

L’équipe Georges et l’équipe Chabaneix en sont réduites aux mêmes constatations. Enfin, après plusieurs heures de recherches, Georges aperçoit devant un garage un superbe camion allemand au gazo. Le « ventilo » ronfle ; on fait les gaz ! Il s’approche, se renseigne, le véhicule est fini, sort de réparation, prêt à livrer. C’est un excellent engin qui marche à la perfection.

Georges et le Grand Marcel ont le sourire en écoutant, mais voilà le chauffeur boche qui arrive à ce moment‑là !...

Camion fini ? et, sur réponse affirmative : Moi partir!

Georges s’approche et lui demande de bien vouloir le remorquer... Son camion imaginaire n’est pas très loin !... dans la rue à côté.

Le boche hésite... refuse tout d’abord, et déclare : Pas plus cinq cents mètres, alors !

Au cours de la discussion, Chabaneix et Locher, que le hasard a conduits par là, arrivent, attirés par le bruit du ventilateur. Ils reconnaissent Georges et s’approchent. Georges prend Locher, le pousse dans la cabine et le Grand Marcel monte derrière, avec Chabaneix. Le camion démarre et Georges dit à Locher en sortant son « pétard » : Présente‑nous à Monsieur!

Le boche est suffoqué et... après deux ou trois écarts, fait l’itinéraire donné par Georges et traduit par Locher qui lui fait un speech formidable en le désarmant. Et le camion roule vers son destin...

Le Grand Marcel et Jean Chabaneix se congratulent réciproquement à plat ventre dans le camion, qui prend la route de Bordeaux.

Mais tout à coup, les événements se précipitent alors que tout semblait bien se dérouler... A la troisième barrière à gauche de la route, sur la voie, un train de troupes est arrêté ; des soldats « café au lait » sont descendus des wagons où ils étouffent par cette torride journée du 18 août. Ils sont allongés sur le ballast ou même jusque sur les bas‑côtés de la route, leur arme individuelle à portée de leur main.

Le chauffeur du camion, enhardi sans doute par la vue d’un si grand nombre de camarades, se met à zigzaguer en criant à pleine gorge dans son langage.

Georges, sans hésiter, lui loge une balle de revolver dans la tête, et pendant que le camion sans conducteur s’écrase sur le côté de la route, il crie à Locher et aux autres : Tout le monde en bas !...

Mais toutes ces péripéties ne se sont pas déroulées sans éclats, et les Hindous allongés sur le ballast, sans attendre, ouvrent un feu d’enfer sur les civils qui se sauvent.

Et c’est là que nos chers camarades Georges Lautrette et Jean Chabaneix sont tombés, mitraillés à bout portant par plusieurs centaines de boches déchaînés.

Locher, blessé d’une balle au bras, et le grand Marcel, contusionné au visage, ne durent qu’à leur bonne étoile et à leurs longues jambes de s’en sortir en fuyant vers la poudrerie.

Le petit Marcel et moi, qui avions « piqué » un camion... entendons au loin la fusillade et écoutons les rumeurs de la foule : Maquis tués!... Maquis prisonniers !... décidons d’aller au plus près pour voir, nous sommes accueillis par des rafales de mitrailleuses et de F. M. qui nous poursuivent jusqu’à la lisière d’un petit bois où nous courons nous mettre à l’abri.

Suivant les ordres de Georges, en cas de coup dur, nous rejoignons la voiture par un détour de plus de dix kilomètres. Et c’est grâce à M. L..., entrepreneur à Angoulême, que nous arrivons à regrouper les six rescapés de cette tragique expédition.

En arrivant au P.C. des Merles, nous apprenions la libération de Périgueux.

Les corps de Georges Lautrette et de Jean Chabaneix furent laissés sur place par les Allemands; ils voulaient épouvanter les passants, et puis, comme il pensaient que des camarades viendraient pour les enlever, ils établirent des postes de guet camouflés... qui restèrent bredouilles car tout le monde se méfiait.

La chaleur était étouffante, aussi les glorieuses dépouilles furent‑elles finalement enlevées par les services municipaux, qui les conduisirent au cimetière de Bardines, route de La Rochelle, où elles furent inhumées dans le carré réservé aux miliciens sous des noms supposés.

C’est là que Tom les récupéra, quelques jours plus tard, de nuit, pour les placer dans le caveau d’un ami. Il les reprit, après la Libération, pour les rendre à leurs familles.tout entier à la libération du pays.

Stèle à la mémoire de Georges Lautrette et Jean Chabaneix
(Route de Bordeaux, Angoulême)

JEAN CHABANEIX  (Profil tracé par Rac.)
Jean était le benjamin d'une équipe de trois cheminots, qui comprenait le Grand Marcel Fraigneau, Jacques Lebouc et lui. Ces trois hommes aidaient les prisonniers dans les évasions, sabotaient le matériel, amenaient les S. T. O. au maquis. C'est Jean qui « réceptionna » Olivier Proust.
Avec le Grand Marcel, il fut de toutes les affaires, enlèvements de collaborateurs, piquages de marchandises, de matériel.
L'excellente tenue, le sérieux, le courage de ce grand garçon à la mâle beauté furent remarqués. Le meilleur groupe de la 9e Compagnie était sans chef. Les deux derniers s'étant montrés insuffisants. II est vrai que les hommes du 1er groupe étaient en général des « durs » ayant plusieurs combats à leur actif et qu'ils n'étaient pas faciles à commander. Jean fut choisi par eux et il s'imposa rapidement. Dès lors, la question du commandement ne fut pas discutée. Le camp de la « Petite-Forêt », où cantonna le groupe Chabaneix, était un modèle du genre.
L'ordre, la propreté, la tenue des armes, l'organisation de la garde étaient remarquables. Jean s'occupait de tout, il ne vivait que dans l'espérance d'un combat ou d'un coup de main, et communiquait sa foi à ses hommes.
Le hasard voulut qu'il soit au P.C. le jour où Georges Lautrette partait pour sa dernière mission. Georges et le Grand Marcel qui l'appréciaient l'emmenèrent. Il ne devait plus revenir !... Il avait vingt-quatre ans !...  

A lire également :

Nécrologie de Georges Lautrette (lien)
Rac, Tom et Eric - Angoulême 1943 (lien)
Réveillon de Noël 1943 (lien)