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Bernard Koller "Barney" - un aviateur américain dans le maquis de Jacques Nancy

Rédigé par Alan dans la rubrique Les AlliésSection Spéciale de Sabotage

Rapport d'évasion du second lieutenant Bernard Koller ''Barney'' écrit en 1944 pour ses amis. Navigateur de l'USAAF Forteresse volante "Sweet Job" qui s'abattit à "La Bodinais" en Lanrelas (Côtes d'Armor) le 8 juin 1944, il a rejoindre la Section Spéciale de Sabotage de Jacques Nancy en Charente deux semaines plus tard.

Voici son histoire.                                                                                              (Version in English)


Couché à 23 heures je fus réveillé à une heure du matin pour aller manger. Le briefing (Instructions) se passa comme d’habitude. Tôt le matin nous fument réunis autour de la Sweet Job ''Belle Ombrageuse'' attendant l'heure de démarrage des moteurs une partie du ciel était étoilé mais le brouillard arrivait vers nous. 

Comme à l'habitude je vérifiais tout mon équipement, vérifiait aussi ma provision d’oxygène puis ma combinaison de vol et mon gilet anti-éclats DCA. Nous décollâmes enfin pour grimper lourdement jusqu'à 12000 pieds (3.600 m), navigateur de cet équipage, je me mis à rechercher d'autres Forteresses déjà parties avant nous en vue de notre regroupement. Je n'en vis pas une seule. Nous tournions sans cesse comme des abeilles autour d'une ruche. Après un temps très long, nous nous sommes accrochés à un autre groupe. hPuis direction la Manche. Je voyais des centaines d'avions d'un bout à l'autre du ciel en formation immense comme un grand carré. Tout se passa selon les plans jusqu'au moment ou nous atteignîmes la cible. 

Le bombardier poussa la poignée de largage des bombes mais elles ne tombèrent pas. Il pressa aussi le circuit de secours mais sans résultat. Il téléphona aussitôt à notre pilote ''Tommy'' qui lui indiqua de tirer de nouveau sur ce circuit, mais impossible, les bombes étaient toujours à bord. Tommy me demanda si il y avait d'autres cibles possibles sur le chemin de retour. Je commençais à regarder mes cartes lorsqu'un ''boum'' terrible envahi l’avion. On aurait dit que quelqu'un avait lancé un gros rocher sur des boites de conserves et puis tout à coup dans l'interphone ''je suis touché, je suis touché''. 

Je regardais le bombardier, ce n'était pas lui qui avait été atteint. Nous perdions de l'altitude. J'ouvris la porte de la tourelle avant et m'aperçus que Smitty avait été touché mais j'ignorais la gravité de sa blessure. Il avait du sang d'un côté du visage mais semblait plus effrayé que blessé. Je comprenais sa frayeur. 

Tommy nous dit de mettre nos parachutes au cas ou nous en aurions besoin. J'essayais d'appeler nos petits frères à l'aide (autres avions) le bombardier second lieutenant King retourna essayer de se débarrasser des bombes. Je pensais que nous ne pourrions pas retraverser la Manche à cause du vent debout et de la distance qui nous séparait de la côte. 

J'aidais Smitty à mettre son parachute et retournai aux trappes de largage pour voir si je pouvais être utile. Tommy ordonna de sauter. Carmino était sûr que nous pouvions rentrer. C'était Tommy qui connaissait le mieux l'état de l'appareil et qui nous avais dit de sauter. Je dis à Carmino de se taire et de sauter. Je fus le sixième à quitter l'avion. Quand mon parachute s'ouvrit ,je remarquai d'autre parachutes ouverts autour de moi mais à distance. 



Partie de l'équipe de Sweet Job
                  2nd Lt. Thomas Digges, 2nd Lt. Bernard Koller, 2nd Lt. Harold Bolin, 2nd Lt Kester King

Soudain je vis le B-24 faire un tour sur la droite et revenir droit vers moi. Je me sentais impuissant. Je pensais que s'était une manière idiote de mourir écrasé par son propre avion. Le bombardier vira juste devant moi et s'écrasa en une terrible explosion. Une grande colonne de fumée noire et huileuse s'éleva de l'endroit ou l'avion s'était abattu, je vis des gens qui me regardaient descendre. Ils étaient dans une espèce de ferme clôturée, qui est tout à fait typique des fermes Françaises. 

Je remarquais aussi une région boisée ou je pourrais me réfugier. Je me sentis soulagé en tombant dans un champ labouré. Une sacrée secousse à atterrissage, mais je m'en remis rapidement. Je me débarrassai de mon harnais de parachute et de mon gilet de sauvetage. A mi-route je les cachai dans un fossé. Je me mis à courir à travers un champ et je vis un homme qui courait aussi. De l'avoir vu le premier me donna l'avantage. Je me cachai derrière un arbre et décidais de l'observer. Il avait l'air convenable. Alors je l'appelai, il me serra la main. Il ne put proférer un mot, il ne me sembla pas trop futé, aussi je décidai de fuir au plus vite. Je m'écartais du lieu de l'accident, vers le coin boisé que j'avais remarqué au cours de ma descente.

Il était plus de 9 heures. Je me débarrassai de lourdes bottes de vol pour pouvoir courir plus vite. Je traversai une route empierrée et crus que des gens m'avaient vu pénétrer dans le bois. Je courus encore une demi heure et il me fallut faire une pose. Je m’assis et fis l'inventaire de ce que j'avais. Je me débarrassai de mon couteau de poche au Manche incrusté de nacre. On m'avait dit que des aviateurs avaient été fusillés comme espions pour avoir possédé sur eux des couteaux, si petits fussent t'ils. J'avais mon trousseau de prisonnier de guerre, une carte de France et D'Espagne puis 2000 francs. 

Je restai allongé attendant calmement que quelqu'un s'approche. J'entendais des oiseaux chanter et voler et à chaque bruit,j'imaginais que quelqu'un était derrière moi. Je restai en place jusqu'à 17 heures, puis je décidai d'explorer les environs et de me diriger vers le Sud-Est. Finalement je sorti du bois, vis la flèche d'une église et décidai de contourner le village. J'étais très méfiant,évitant tout le monde au début . Je vis un homme et son fils qui binaient des choux dans un champ. Je décidai de leur demander un verre d'eau. Je ne savais pas un seul mot de Français, il me fallut utiliser le langage des signes pour me faire comprendre. Le fils rentra chez lui et apporta du cidre. Le père dit au fils de me donner des vêtements civils que je pris en échange de ma combinaison de vol. Il me dit de le suivre à la maison ou sa femme me donna du pain. 

Tout à coup sa femme qui observait par la fenêtre dit quelque chose à son mari. Il me prit par la main et je le suivis dans une grange pour ensuite franchir une clôture sur l’arrière de la ferme. Je crus que la police allemande me poursuivait déjà. Je courus en un grand demi cercle autour de la ferme et pris l'orientation du sud. 

A la ferme, la fermière m'avait montré un mouchoir avec les initiales H.W.B. (Second lieutenant Harold Bolin) inscrites dessus, si bien que je sût que le copilote était en sécurité et m'avait précédé. Je ne vis aucune autre trace d'autres membres de notre équipage. J'évitais tout le monde et marchais jusqu'à 22 heures. Ce soir la ,je décidai de dormir dans un fossé sous un arbre. Il se mit à pleuvoir et il plut toute la nuit. 

L'arbre m'abrita un certain temps. Il commençait à faire froid. Je pensai à me rendre, au moins je serai au chaud quelque part et j'aurai à manger. Vers 4 heures du matin, je décidai de marcher pour conserver ma chaleur. Il faisait encore nuit noire. Malgré tout je restai dans les champs et dissimulé. Je marchai jusqu'à environ 10 heures et m’arrêtai dans une ferme ou je demandais à une femme si je pouvais dormir dans la grange. 

Elle me dit ''d'accord'', je dormis environ une heure quand arriva un homme qui me fit signe de prendre la route. Je marchai jusqu'à 18 heures et m’arrêtai pour demander quelque chose à manger. Une femme m'apporta quelque chose qui ressemblait à un torchon de mailles verdâtres et sale. Il y avait du beurre dessus. Ça avait le goût de ce à quoi cela ressemblait. Elle me donna aussi du cidre. J'appris plus tard que cette nourriture particulière était un grand régal là-bas, et était faite de galettes aux œufs. 

J'ai ensuite marché jusqu'au soir,et résolus de dormir encore dans un fossé. Pluie, pluie, pluie toujours et il faisait très froid. J'étais résolus à me glisser sous la première meule de paille que je rencontrerai par la suite pour récupérer un peu. Ce que je fis jusqu'à l'aube et ensuite je repris ma marche vers le sud. Arrêt pour chercher à manger. Une dame me donna du pain. Elle me dit de ne pas aller par là, elle me faisait les gestes d'un tireur. Je décidai pourtant de partir dans cette direction. J'avais toujours froid. J'étais trempé et très fatigué. Je n'avais dormi que deux heures ces trois derniers jours. Je repris la route. les champs étaient trop mouillés. J'arrivai à un virage et vis une sentinelle allemande en face d'un immeuble avec son fusil à l'épaule. Mon cœur se serra. 

Elle me vit et donc pour ne pas attirer son attention il me fallut continuer à marcher vers elle. Je passai devant ce soldat. Il ne se douta de rien. Dans l'immeuble en face d'autres allemands, dans un bureau téléphonaient. Je pris la première route sur ma droite pour sortir de la au plus vite. Je vis trois autres allemands en vélo, apparemment en patrouille. 

Je passai devant eux. Je pris la route suivante et encore une autre à gauche pour sortit de la ville. Je vis deux allemands debout prés de deux tentes individuelles vertes ,allumant leurs cigarettes. Mon cœur battait si fort que je pensais qu'il l'entendrait à quelques mètres de distance. Je quittai enfin la ville, très fatigué. Je cherchai un lieu pour passer la nuit au sec. Je vis une soue à cochon vide, mais je préférai voir avant les fermiers. Je m'assis dans un fossé en attendant qu'ils rentrent à leur ferme. Rentrant, ils se dirigèrent vers moi. Ils avaient un chien. Je préférai reprendre ma route. 



                       Rapport de Mission du 8 Juin 1944               (Musée du 493rd BG Debach, Suffolk)

Plus loin, je vis un homme et son fils qui labouraient leur champ. Je leur demandai à manger. Ils m’emmenèrent chez eux et me donnèrent de la soupe de pain. Elle était très bonne. Ils avaient un foyer chaud, descendirent un lit du grenier et me dirent de dormir dans leur cuisine. Extrêmement fatigué je m'endormis aussitôt. Le lendemain matin, je leur demandai un miroir pour me raser. C'était un dimanche et le fermier me dit qu'il devait se rendre à la messe. Je m'en allais. Je ne faisais confiance à personne. Je continuai mon chemin vers le sud pendant un certain temps. 

Une patrouille allemande camouflée de branchages me dépassa. J'aurais bien aimé être en voiture mais surtout pas avec eux. J'étais fatigué par cette longue marche à pied. Des tas de gens marchaient le dimanche, aussi je restai sur de petits chemins faisant en sorte de ne rencontrer personne. Ce jour la j'ai marché jusqu'à la tombée de la nuit. Je fus demander un peu de nourriture dans une maison. L'homme me donna du pain. Je lui demandai si je pouvais dormir dans sa grange. Il me dit oui et me donna une couverture. Vers 23 heures il vint me chercher et me dit de venir dans sa maison. Il me donna à manger une soupe de pain et de lait, très bonne. Il me dit qu'il était dans la DCA Française jusqu'en 1940. Il avait travaillé en Allemagne mais il avait plus de 40 ans alors il avait été libéré. Son beau frère était prisonnier en Allemagne depuis 3 ans. Il me donna un petit déjeuner le lendemain matin. 

Je traversai un champ, quand soudain un Messerschmitt 109 passa au dessus de moi, très bas. J'aperçus le pilote dans son cockpit. Ensuite je traversais une foret toute la journée, le soir je recherchais ou loger pour la nuit. Un homme m'indiqua une grange. Je grimpais à une échelle quand soudain un autre homme me dit de déguerpir, je demandai à un autre fermier. Il me dit non. Je marchais encore et encore et je vis dans la pénombre un homme auquel je demandai de dormir dans une meule de foin. Il m'accorda cette autorisation. Il faisait très froid. J'étais fatigué et affamé. 

Je me levai à l'aube et repris ma route, toujours au sud, j'avais des ampoules aux pieds qui me faisaient souffrir. Le soleil se montra enfin mais je me trouvais déprimé me demandant combien cela encore durerai t'il. En soirée je demandai à un homme un peu de nourriture. Il me donna de la soupe de pois ou l'on retrouvait tout même les cosses. Cet homme me dit que les allemands étaient à 3 km. Il avait peur de me laisser dormir dans sa grange. Il finit par accepter. Les chevaux de l'écurie voisine s’agitèrent toute la nuit me rendant un sommeil difficile. Je parti au matin et je continuai mon parcours jusqu'à 3 heures de l’après midi. Je cherchai de la nourriture. Une femme qui ressemblait à Jeanne Burton me donna une omelette très bonne. Elle me donna du pain et mit un œuf dans ma poche. Arrivé près de la Loire, je trouvais le fleuve très grand. Ne sachant pas nager il n'était pas question de le traverser ainsi. 

Je décidai de traverser en passant sur un pont. J'arrivai dans une petite ville ou je rejoignis un autre bras du fleuve. Le pont avait été détruit par les bombes. Mon cœur se serra. Sorti de la ville ,je m'assis sur la rive. J'étais très abattu. Je vis un homme qui remontait le fleuve dans une barque. Je l'appelai. Il me fit traverser. Je me dis que j'avais eus de la chance. La nuit suivante, je dormis dans une grange. Je mis ma veste sur ma tête pour ne pas avoir de foin sur moi. J'avais un orteil infecté à cause de mes ampoules. La journée suivante je marchai toute la journée malgré mes douleurs aux pieds. J’aperçus un barrage de ballons au dessus d'une ville industrielle. 

Le soir une dame aimable me fit une omelette de 6 œufs. Affamé je lui en redemandais. Elle accepta et m'en refit une autre. Elle dut penser que j'étais un goinfre. A ce stade je me posais la question de savoir s'il existait un réseau d'aide aux aviateurs évadés. Comment avais je donc été si longtemps sans contacter personne. Il me fallait continuer à marcher. Pas d'autre solution. Je traversai une ville et je vis un soldat en vélo qui s’arrêtait devant un magasin. Il mit son casque sur la selle. Je passai prés du vélo et je fût tenté de le balancer puis de m'enfuir, rien que pour rire. Mais je n'aurais peut être pas rit bien longtemps. Je me demandais comment ils pouvaient faire pour ne pas me reconnaître. Je pris la direction du sud-est. Il me fallut me reposer souvent. Voila plusieurs jours que mon évasion avait commencé. Mes jambes devenaient terriblement raides. J'aime bien voyager mais pas sur un aussi long chemin. Une dame me donna du pain et du fromage moisi. J'avais détesté. Je vis des avions P-47 qui bombardaient à l'horizon. Sans doute un train. Ça me plaisait beaucoup de les voir voler par ici. Ça me donnait le sentiment que ça vaut le coup de continuer la lutte. Marche. Marche. Marche. 

Je suis ensuite passé devant un hôpital couvert de croix rouges partout. Il y avait des tourelles antiaériennes de chaque côté. De cet hôpital sortirent des camions chargés de soldats. Il y avait aussi des femmes. Qu'est ce que ces femmes faisaient sur ces camions ? Elles n'avaient pas d'uniformes. Je descendis une côte et pris ensuite un grand virage. Des gens attendaient qu'un train passe au passage à niveau. Ils me virent. Il fallait que je traverse absolument. Malgré tout j'attendis que ce train militaire soit passé. Les soldats allemands avaient l'air très fatigués. Ils étaient assis sur des bottes de paille dans des wagons de marchandises portes ouvertes. La plupart blonds et jeunes. Ils avaient un équipement parfait. Simplement un tas de jeunes idiots en route vers la mort. Pourquoi continuent t'ils à se battre alors qu'il savent bien qu'il vont prendre une sacrée raclée. Mais savent t'ils seulement qu'ils sont déjà perdants. Quelle connerie que cette guerre. Des Français les saluaient de la main. Je leur fis signe aussi. S'ils savaient qu'un Américain les saluait. Quelle farce peut être la vie parfois....

Après avoir marché encore 14 jours de l'aube au crépuscule, je souhaitais poser un peu dans une ferme et aussi trouver à manger. J'avais déjà parcouru 400 km depuis mon arrivée sur le sol Français. J'y ajouterai plusieurs dizaines de kilomètres en plus vus le nombre de contournement des villes ou j'étais passé. Une jeune femme me dit quelle devait demander la permission pour me donner à manger. Elle demanda à sa grand mère qui répondit positivement. J'attendais puis je pus manger de la soupe dans cette famille. Un foyer Français typique. Tout le monde parlait à la fois en faisant tous ''gloup''. On jetait des morceau par terre pour les chiens et les chats. Le pain se présente en grandes miches rondes de 4 kg. Tout le monde à son couteau et se coupe une tranche. Huguette, la première femme à qui je m'adressais me dit de passer la nuit chez eux et que le lendemain son père irait chercher un Anglais et un Français qui étaient censés être mes ''camarades''. (Le 23 juin 1944, maison à Chives en Charente-Maritime).

Je passai la nuit là et le lendemain je restais planté la jusqu'à la fin de l’après midi. Un camion arriva dans la cour avec à son bord plusieurs Français qui venaient me chercher. Je croyais enfin que l'on allait me faire passer en Espagne. J'avais trouvé la résistance. Tout irait bien à présent. Soudain les Français braquèrent leur mitraillette et leurs pistolets en direction d'une voiture qui arrivait sur le chemin de la ferme. Je pensais que c'était une voiture Allemande. Mais non ce n'était que le boucher. Après son départ tout le monde était soulagé l’arrière du camion était recouvert d'une bâche sous laquelle tout le monde se cachait. L’anglais s'appelait Mike (Michael Patrick Mcpartland) et il avait l'air très craintif. C'était un petit bonhomme maigrichon. Les Français aussi avaient peur. 

Nous roulâmes longtemps et lorsque nous nous arrêtâmes nous étions au cœur d'une forêt. Je descendis du camion et à ma surprise je rencontrai deux Américains (S/Sgt Jack M Garrett, S/Sgt Norman C Benson du 448th BG). Ils me demandèrent quand j'avais été abattu je leur répondit le 8 juin. Et vous. Quand ? Le 5 mars. Je commençai à me rendre compte qu'il ne serait pas facile de sortir de France et de rejoindre l’Angleterre. Donc Mike, Jack, Norman et moi parlions la même langue, çà me faisait plaisir de les voir. J’étais très fatigué de parler avec juste deux mots de Français et de terminer la conversation avec mes mains. 

Nous serrâmes tous la main des Français. Norm et Jack venaient de rejoindre le groupe en même temps que moi. Le chef de ce petit groupe de résistants s'appelait "René" (Denis Olivain). C'était un gars de petite taille à moitié chauve et trapu. Il ne savait pas un traître mot d’Anglais. Il y avait aussi "Emile" (Elie Dodart) qui avait été maire d'une ville importante dans les environs et il faisait parti de la résistance depuis le début. Il avait fait passer les Pyrénées à 18 américains mais il nous dit que c'était très dangereux, surtout que depuis mai les Allemands avaient triplé leurs gardes. C’était compréhensible et nous nous résolûmes d'attendre. Il nous dit que les allemands fusillaient les Français et les aviateurs Américains étaient envoyés dans des camps en Allemagne mais parfois aussi étaient passés par les armes. 

Emile parlait Anglais avec un accent. Il avait étudié à Cambridge. Puis il y avait Jacky, un brave type, très grand, bien bâti, très nerveux, fumeur invétéré. Plus tard il me dit qu'il s’installera en Amérique comme fermier. Son père était fermier et que s'était sa vocation aussi à cause du manque de possibilités dans son pays. Je lui dit qu’il y avait beaucoup de Français au Québec et à la Nouvelle Orléans. Il y avait aussi "Max" (Marcel Chabonnier). C’était un sergent de l'armée française. Il s'était évadé d'un camp de concentration. Il était gait et très athlétique. Ses connaissance en Anglais se résumaient à ''Get up, Shut up, Al Capone, Chicago". "Pierre" (Louis Proust) était un jeune homme sérieux d'environ 18 ans. Un jour lui et moi attrapâmes des visiteurs trop curieux alors que nous ramassions du bois. René les interrogea puis les relâcha le lendemain. Le premier soir de notre arrivée, Emile nous demanda si nous voulions voir sauter un train. Nous répondions d’accord. Nous nous installèrent dans la Citroën Traction Avant, les autres dans des camions. Au lieu de passer en Espagne avec le réseau clandestin nous voilà avec une bande de saboteurs. Quelle vie !

Ils donnèrent à Norm, Jack et moi un mitraillette Sten. Les balles sont un peu plus petites que le calibre 45 et le chargeur contient 28 balles. Nous étions sensés protéger René, tandis qu'il installait le fil entre la dynamo et les pains de dynamite. Ils s'étaient arrangés pour avoir les horaires du train. Une locomotive arriva seule en haletant. Elle était sur la mauvaise voie. Il faisait nuit noire. Nous étions tous allongés derrière un petit talus, attendant le train. Nous entendîmes tout d'un coup des moteurs d’avions. Un avion passa au dessus de nous et lança des fusées jaunes. C’était un avertissement pour que les gens de la ville proche se sauvent au plus vite. Cet avion revint et cette fois ci lâcha des fusées blanches. Le reste des avions arriva et lâcha ses bombes. La terre tremblait et grondait. Les avions s'en allèrent et tout redevint calme. Nous attendîmes longtemps. Il faisait très froid. Enfin le train arriva mais le détonateur ne fonctionna pas, si bien que rien ne se produisit. Après j'eus une grande peur ne sachant ce qui allait suivre. 

Nous rentrâmes à toute vitesse par des chemins détournés. La traction tomba en panne. Quelle tuile ! Si les Allemands empruntaient cette route nous pouvions dire adieu au monde. Le camion nous remorqua jusqu'au camp. Les résistants dormaient le jour et opéraient la nuit. Il ne voulurent pas de nous pour la mission suivante. Un gendarme arriva au camp. Il s'appelait Robert (Robert Pradier) et venait de la ville voisine ou il était chargé de la garde à la prison. Il vint donner le double des clés de cette prison au groupe de résistants. Ce groupe dans les jours suivants libéra ainsi plus de 400 prisonniers politiques. Les prisonniers eurent peur de sortir au début de l'intervention car ils pensèrent à un piège. Ils pensaient que les Allemands les abattraient tous. 



Photo prise au camp de Barbezières - juin 1944
Séraphin, Emile, Jacques, Jacky, Marc, René
Blaireau, Clovis, Antoine

Deux soirées plus tard nous avons déménagé dans une autre foret. Il fallait changer souvent d'endroit pour que nous ne soyons repérés. L'abri des maquisards étaient fait de tentes coupées dans de la toile de parachute. Ils ne séjournaient jamais dans des maisons car en cas d'attaque ils ne pourraient se sauver. Dans les bois ce serait plus facile de s'éparpiller et disparaître. Mike, Norm, Jack et moi dormions sous la même tente. Nous avions une couverture dessus et une en dessous. Mike était très nerveux et la nuit il allumait une cigarette toute les demi heures. Jack avait des démangeaisons et il se grattait comme un chien qui a des puces. En cas d'alerte nous devions nous enfuir à travers bois. Le signal était deux coups de feu. Nous dormions tout habillé pour conserver la chaleur le plus possible et être prêt en cas ou il faudrait fuir. Il n'y avait pas assez d'armes pour tout le monde. Un soir on fit une ronde de surveillance dans la foret nous étions les 3 américains plus le cuisinier. N'ayant rien remarqué nous rentrâmes au camp. 

Il pleuvait beaucoup, nous étions trempés et il faisait très froid. La pluie traversait nos tentes improvisées. Un jour il tuèrent un mouton. Il fallait bien manger. Nous eûmes du ragoût jusqu'à épuisement. Un soir vers 8 heures 30, Emile nous dit que nous allions faire un coup de main. Il nous dit qu'il y aurait du danger. Il leur dit que nous devions être prêt à tout. On me donna un vieux fusil de l'Armée Française. Il était sale et rouillé et ne pouvait contenir qu'une seule balle dans son magasin. Jack avait une Sten Nous avions roulé jusqu'à minuit, puis on descendit du camion. Silencieusement on approcha d'un pont routier qui enjambait une voie ferrée. Nous descendîmes en bas de ce pont quand soudain un chien se mit à aboyer. Nous avons pensé à une patrouille allemande. Norm et moi nous devions nous asseoir de chaque côté de ce pont, interdisant son accès. 

La consigne était de descendre tout celui qui se présenterait. J’étais assis sur le rebord droit de ce pont. J’essayais de voir de l'autre côté et aussi vers l’horizon ou je distinguais des talus. Chaque fois qu'une brindille bougeait, je croyais qu'une patrouille ennemie arrivait, parfois je crois que ces minutes furent les plus dures de ma vie. Il faisait bien noir sous les nuages avec un clair de lune de temps en temps. Toujours l'attente sur le qui vive. Les autres gars installaient le plastic sur les voies. Nous devions attendre jusqu'à 5 heures. Si aucun train n'arrivait nous devions faire sauter les rails. Après avoir attendu une bonne demi heure, on entendit au loin un train qui venait vers nous. Il lança un coup de sifflet. Il approcha de nous, la locomotive soufflait et haletait comme si elle tirait un lourd chargement. On voyait sa lanterne. Je courus me jeter derrière un remblais. Je venais tout juste de me mettre à plat ventre qu'une terrible explosion se fit entendre. Une flamme immense se projeta en l’air. La chaudière avait dû éclater. La locomotive avait déraillé et les deux premiers wagons étaient en pièces détachées. On entendait des morceaux métalliques qui retombaient sur le sol. Le remblais nous protégeais. 

Nous sautâmes vite dans le camion et partîmes feux éteints. Nous étions sur nos gardes à chaque petit village que nous traversions au cas ou les allemands auraient barré les routes. Le gars à l'avant du camion avait des grenades toutes prêtes. Au loin derrière, nous aperçûmes les phares d'une voiture. Nous avons pensé aux allemands, ce qui était sans doute le cas. On réussit à les semer malgré l'absence de phares allumés sur notre camion. Nous suivions les routes de l’arrière pays pour éviter de mauvaises rencontres. Mais...Enfin nous arrivâmes au camp. Un café et un peu de pain puis direction le tas de foin proche qui nous servait de lit. Le lendemain nous essayâmes nos armes et mon vieux fusil. On tirait sur une cible placée de l'autre côté du vallon, la moitié des balles ne partaient pas. J’imagine la situation car hier nous avions les mêmes armes et les mêmes cartouches. Si l' ennemi nous avait engagé le combat. C’est encore le destin qui dirige cela dans nos vies. 

Deux jours plus tard on se joignit à un autre groupe de maquisards. Le commandant s'appelait Jacques, René était son adjoint. Le camp était divisé en deux groupes. Nous les Américains nous étions avec Jacques. On reçu un nouveau cuisinier Robert, c'était un homme brave et qui ne rechignait pas aux taches les plus dures. Il se promenait avec sa mitraillette au milieu de la rue visible comme la Lady Godiva. Nous les américains nous avions le réflexe simple de nous protéger de tirs éventuels. Il était dit qu'il était mercenaire auparavant. Il avait reçu une balle dans l'épaule. Il lui manquait un doigt, il nous disait que c'était une balle qui le lui avait enlevé. Sa femme que nous avions rencontré nous avait dit qu'il avait été sectionné par une faucheuse. Il avait un tatouage sur le dos. Un Senor et sa Senorita. Sans doute un trophée du temps passé. 

Notre nouveau commandant était excellent. Jacques (Jacques Nancy) était ancien officier artilleur de l'Armée Française. Il s'était évadé d'une geôle Allemande, était passé en Espagne ou arrêté il y passa 16 mois en prison. Il regagna finalement l'Angleterre où on le forma au sabotage. Il fût de nouveau parachuté sur la France. Ensuite j'ai rencontré le ''Toubib'' un étudiant en médecine qui avait interrompu ses études du fait de la guerre. Il fut reconnu par nous tous comme médecin du groupe. C'était un gars très intelligent. Cela faisait plus de 45 jours que j'étais en France et je n'avais pas pu obtenir de brosse à dents. Le toubib m'en procura une. Il y avait aussi Antoine, toujours entrain de blaguer. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour nous. On installât notre nouveau campement au pied d'un ravin ou coulait une source y avait aussi un lac à une centaine de mètres de nous. Nous allions nous y baigner. 

J’ai toujours le souvenir de notre première nuit en ce lieu, il plut pendant 10 heures sans arrêt. Nous n'avions plus le moral. Un jour j'étais parti avec Mike chercher du bois. Soudain il poussa un cri et mis la mais sur sa poitrine en s’écroulant sur le sol. Il faisait une crise cardiaque. Il avait du mal à respirer. Je courus chercher René et le toubib. On le mis dans une couverture pour le transporter et il fût dirigé vers un hôpital clandestin dans un coma profond. Mike était Anglais et officier de la marine de Commerce. En 1942 il fut rescapé d'un naufrage devant Dieppe. Récupéré par des pêcheurs Français il fut remis aux allemands qui le mirent en prison à Cologne. Il s'évada et rejoignit la France après mille péripéties où il rencontra le groupe de résistants. Mike avait 42 ans mais il en faisait 60, il revint avec nous après plus d'une semaine de soin. Le médecin lui dit qu'il ne fallait plus boire d'alcool n'y fumer. Mais il ne compris rien.

Dans ce camp le 14 juillet nous fêtâmes la Prise de la Bastille. (Comme notre 4 juillet aux USA). Ce fût aussi le jour où Herb et Bill arrivèrent au camp. Ils avaient été abattus le 31 décembre et ils étaient toujours là. Ils décidèrent de rester avec nous. Notre groupe ainsi s’agrandissait. Un jour il fallut aller dans une ville pour l’approvisionnement. On en profita pour sectionner les câbles téléphoniques à la Poste. Le camion était rempli de pâtes, de vin et d'un tas d'autres trucs. Nous primes la direction de notre campement. Ces jours là il avait tellement plut que nous décidâmes de nous installer dans un château (Château Puycharnaud). Nos chambres étaient vastes. C’était une grosse propriété. Les jours suivants nous avons a quelques kilomètres barré la route avec des arbres ceci pour tendre une embuscade aux allemands. Nous avions prit soin d'être bien éloigné du château. Nous étions prés du Village de Javerlhac, (Dordogne) en ce 24 juillet 1944. La bataille fût terrible. Nous avons perdu cinq hommes tués tandis que les allemands relevèrent une trentaine de mort dont un français capitaine de la milice. Nous avions lu cela dans le journal les jours suivants. Un des nôtres se tua accidentellement avec son arme. (Robert Marchadier le 25 juillet 1944).



Les six aviateurs Américains
Barney Koller, Norman Benson, Joe Gonet
Herbert Brill, Jack Garrett, Bill Weber

Un autre Américain vint nous rejoindre. Il s'appelait Joe (Joe Gonet). Son B-26 venait d’être abattu maintenant nous étions 6 (y compris Lt. Herbert Brill et Sgt Bill Weber hebergé par Jacques Nancy depuis janvier 1944). Nous envisagions de tenter de rentrer en Angleterre coûte que coûte. Jacques nous emmena Norm et moi à une cinquantaine de kilomètres de notre camp rencontrer un capitaine français et un commandant américain le major parachutiste John Gildee (Jedburgh Ian) qui avait quelque temps avant été parachuté dans la région pour coordonner les parachutages d’approvisionnement. Il connaissait la pays par cœur et nous déconseilla fortement de tenter de rentrer en Angleterre. 
Jedburgh Team Ian
Gildee, Bourgoin, Desfarges

Nous décidâmes de rester dans la région mais nous avions choisi de quitter le maquis devenu trop dangereux. Nous fûmes hébergés dans une ferme abandonnée dans un lieu entouré de bois. Il s’avéra que 5 américains nous avaient précédé dans ce lieu. Nous fûmes donc onze à vivre dans cet endroit isolé. Ces masures appartenaient à un fermier que nous appelâmes ''The Propriétor''. Il fit tout ce qu'il pouvait pour nous. Nous possédions de l'argent français pour faire quelques achats dans le coin mais ces fermiers nous firent de nombreux dons. Nous allions discrètement un par un chercher du pain à 5 km. Nous vécûmes là un mois. 

Un matin le Commandant John vint nous voir. Il nous appris une nouvelle presque impossible à croire. Nous allions enfin partir vers l'Angleterre. En effet nous devions nous rendre sur un aérodrome dans une grande ville proche où un avion devait venir nous chercher, (aérodrome de Feytiat près de Limoges). Cet aérodrome abandonné par les allemands ne fut par détruit. Des français rallongèrent la piste pour que notre avion puisse se poser. La nuit venue nous nous sommes rendus sur cet aérodrome pour attendre notre avion. L'attente fût longue. Nous étions avec d'autres compatriotes, des anglais, des canadiens, des Néo zélandais et bien d’autres. En fin de nuit on entendit enfin le bruit des moteurs. L'avion se posa. L'embarquement fut très rapide pendant que l'on faisait les pleins en carburant. Nous décollâmes et le lendemain un jour nouveau s'ouvrit à nous sur le sol Anglais.


Second Lieutenant Barney Koller. 1944



Photo prise au Château Puycharnaud
Section Spéciale de Sabotage de Jacques Nancy / 2e Compagnie de la brigade Rac


Tous nos remerciements à Daniel Dehiot de l'Association Bretonne du Souvenir Aerien 39-45 pour avoir eu la gentillesse de partager l'histoire de Barney Koller. 
Site de l'Association : (lien)

Un grand merci également à Richard Taylor et Darren Jelly au Musée du 493rd BG à l'aérodrome de Debach près de Woodbridge dans le Suffolk
Site du musée : (lien)