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Rodolphe Cézard « Rac » - Chef de la brigade Rac [3ème partie]

Rédigé par Alain dans la rubrique Brigade Rac, Portrait 

En avril 1945 lors de la prise de Royan, deux groupements d'attaque sont prévus : le groupement sud, aux ordres du colonel Grangé, qui commande le 4e Zouaves (Grangé est le gendre du général Giraud). Le groupement nord, aux ordres du lieutenant-colonel Cézard, dit Rac, commandant le 50e R.I.
Le groupement Grangé doit attaquer le premier le 14 avril au matin, sur un front allant de Saint-Georges-de-Didonne à Fontbedeux. Il est essentiellement formé du 4e Zouaves, auquel est adjoint le 1er Bataillon du 50e aux ordres du commandant Plassard. Cette infanterie est soutenue par les chars du 12e Cuirassiers venus de la Division Leclerc et par une nombreuse artillerie détachée par les Américains. Le groupement Cézard, qui comprend les 2e et 3e Bataillons du 50e R.I. et le 158e R.I., Régiment d'Armagnac-Bigorre, ne doit se révéler que le 16 avril. Sa mission consiste à prendre à revers l'ennemi poussé de front par le groupement Grangé.
Les éléments de Cézard doivent traverser la Seudre de vive force pour se placer dans le dos des Allemands. C'est le 3e Bataillon du 50e, le Bataillon Violette, à l'expérience et au passé riche de gloire, qui est chargé d'être le fer de lance du mouvement. Effectivement, le 16 au matin les 9e, 10e et 11e Compagnie traversent le fleuve sur les « lasses », embarcations à fond plat dont se servent les ostréiculteurs. Elles conquièrent rapidement la rive opposée ou les Allemands - surpris - se rendent. A Chambion, il y a cependant des points de résistance, d’où pertes sévères à la Section Isnard, de la 9e.
Grâce à l'artillerie américaine qui pilonne les nids de résistance allemands, dont la fameuse batterie des rosiers qui est pulvérisée, l'affaire est terminée dans l'après-midi et le 2e Bataillon peut, avec le 158e, nettoyer tout le fond de la presqu'île vers La Tremblade, la pointe de la Courbe et Saint-Palais, vers Royan.L'amiral allemand Michaelis qui commandait en chef, est fait prisonnier avec toutes ses troupes sauf quelques groupes qui réussissent à s'embarquer pour l'île d'Oléron.
Le butin est considérable et Rac - qui a eu tant de mal à se créer une artillerie - reste rêveur devant la quantité de canons dont beaucoup de 75, de 120 longs et autres pièces françaises prises en 1940 qui sont rassemblées en de vaste dépôts. Le 23 avril, une grande revue à lieu dans la plaine des Mathes pour célébrer la prise de Royan. Devant une tribune ou de Gaulle à pris place avec Diethem, son ministre de la Guerre, trois régiments défilent. Le 50e, derrière sa musique et son drapeau, est splendide. Le chef du Gouvernement provisoire remet lui-même des décorations - entre autres à Rac, la Légion d'honneur ainsi qu'à Jacques Nancy qui a commandé la 2e Compagnie devant Fontbedeau le 16 avril.
Jacques Nancy, officier parachuté de Londres en 1943, a été l'adjoint de Bannière, chargé de mettre de l'ordre dans la Résistance du Sud-Ouest et qui - arrêté à Bordeaux - a avalé dans sa prison la pilule de cyanure dont il était porteur. Jacques, réfugié en Charente, a créé une magnifique section de sabotage, grande destructrice de voies ferrées pendant tout l'hiver 1943-1944, avant de devenir en juillet 1944 le chef de la 2e Compagnie du 1er Bataillon.
Le sergent Zedemberg, dit Z, de la 9e, le premier à avoir sauté sur la rive opposée le 16 avril, reçoit pour sa part une Croix de guerre avec palme. L'attaque de l'île d'Oléron est prévue pour la fin du mois. Une brigade de choc a été constituée aux ordres du général Marchand. Elle comprend les 2e et 3e Bataillons de Rac, le premier - étrillé à Royan - restant au repos. Tout le 158e et le bataillon de fusiliers marins crée à Rochefort durant l'hiver commandé par Joseph Dupin de Saint-Cyr, ancien adjoint de Vieugeot.
Le général de Larminat qui - en haut lieu - dirige l'opération, a laissé croire à l'ennemi que le débarquement aurait lieu le 28, puis le 29 avril. Les bombardements ne cessent pas pendant ces deux jours, ils redoublent d'intensité le 30 à l'aube.
Les L.C.V.P. (landing craft véhicule personnel), déversent avant le jour leurs occupants sur les plages sud-ouest entre Saint-Trojan et le Perthuis de Maumusson, ce n'est pas une promenade de santé pour les 5e et 6e Compagnies du 50e et les fusiliers marins débarqués les premiers. Elles sont relayées par le 3e Bataillon arrivé en seconde vague. On se bat toute la journée. Ce n'est que le lendemain 1er mai que la reddition à lieu.
On se prépare à attaquer La Rochelle... gros morceau... Où les Allemands sont trente mille, mais le 8 mai, les carillons de tous les clochers de France annoncent l'Armistice.

Le P.C. du 50e est transporté à Airvault, un gros chef-lieu de canton de la Vienne : il est installé dans un château à l'entrée de la ville. C'est la qu' une nouvelle inattendue vient stupéfier tout le monde : Rac est relevé de son commandement. Ses cinq galons panachés lui sont retirés, il redevient simple capitaine et doit céder sa place à la tête du régiment à un nouveau venu : le colonel Roy. Ce dernier qui arrive début juin, n'est pas un inconnu pour le front de l'Atlantique, il a commandé en tant que second le 4e Zouaves lors de l'attaque de Royan.
C'est un vieux briscard, capitaine à 23 ans en 1918, il a fait la campagne de Tunisie en 1942 avec le grade de commandant. Promu lieutenant-colonel, débarqué en France en septembre 1944, il est blessé et devient l'adjoint de Grangé.
Roy a un cœur d'or, il a vite fait de se rendre sympathique à tout le monde, y compris à Rac lui-même qui demeure son adjoint et conserve son bureau au château.

Novembre 1945
Le régiment doit partir pour l'Allemagne où, trois mois après, c'est la dissolution. Rac ne partira pas en Allemagne à la traîne de son régiment comme adjoint du colonel Roy. Pour l’instant, il se croit plus utile en restant au service de ses camarades qui ont tous des problèmes, soit qu’ils demandent à rester dans l’armée, soit qu’ils regagnent la vie civile ; il fait ainsi la navette entre Airvault et la Dordogne.
Fred, qui est pourtant pressé de se faire démobiliser mais qui ne veut pas lâcher tant qu’il se sent utile, a été chargé par le colonel Roy à l’échelon du régiment, de créer un bureau de reclassement des démobilisés. C’est à Airvault, et il s’agit d’un gros boulot ; heureusement qu’Olive le poète, est l’adjoint de Fred. Ils arrivent à trouver grâce à l’organisation que le général de Larminat a mis sur pied à Cognac, deux cents emplois réservés (Pont et Chaussées, douanes, chemins de fer, etc.). On lira dans « Bataillon Violette », page 321, la lettre que le général d’Anselme écrivit au ministre de la Guerre qui a oublié de fournir en vêtements civils les démobilisés, alors que les S.T.O. y ont droit ! La pénurie sévissait à cette époque; il n’y avait rien, et tout était cher.

Tout de même, il était scandaleux que les maquisards, qui avaient usé leurs propres effets dans la nature, soient mis à la porte tout nus. A l’automne, Rac monte à Paris ; il a l’intention de regagner l’artillerie, son arme d’origine.

Écoutons‑le :

J’ai peut‑être gagné six mois sur un avancement normal, en temps de paix, dans l’artillerie (lieutenant, mars 40 ; capitaine, octobre 45)... au choix. Je reprends donc philosophiquement mes trois galons et accepte de rester quelque temps chef d’état major du colonel Roy, désigné pour prendre le commandement du 50e R.I. La 23e D.I. est regroupée dans la région de Thouars. Ma présence permettra d’arrondir les angles, d’arranger les « bidons » comme l’on dit. Le commandant Diot est parti : « J’avais un patron, je n’en aurai pas deux ». Je lui ferai le plaisir de le ramener chez lui, près de La Réole. Un grand bonhomme qui a rendu de signalés services à la Brigade et au 50e R.I.

Août 45. ‑ C’est la fête traditionnelle des maquis de Dordogne‑Nord, de la brigade et bien sûr, maintenant celle du 50e R. I. Un festival... les vieux vont prouver qu’ils n’ont rien à apprendre, ni au combat, ni sur la scène. C’est là que Fred rendra un extraordinaire hommage aux troupes et à leurs anciens chefs. J’ai d’ailleurs défilé le matin même, à la tête de mes hommes et pour la dernière fois. Des cœurs serrés... quelques larmes.

Le colonel Roy a décoré quelques combattants qui ont bien mérité un petit bout de ruban...
Je sens que je n’ai plus rien à faire là ! Les anciens demandent leur démobilisation de plus en plus nombreux. A Dieu va !...

Mais au fait, je suis militaire de carrière. Je dois réintégrer l’artillerie, mon arme d’origine ; tel est sûrement mon devoir. Le lieutenant Lafage m’indique bien qu’une décision ministérielle prévoit des dispositions pour un éventuel «  dégagement des cadres ».

 Mon colonel, vous pouvez bénéficier de ces mesures. Nous examinerons cela plus tard... Je vais aller à Paris voir ce qui s’y passe, nous verrons ensuite. Pour s’y passer quelque chose, je fus rapidement édifié ! Cela ne dura qu’un jour... le dernier de ma carrière militaire.
Contact avec le colonel Hennequin, adjoint au général Zeller, directeur de l’Artillerie.
- Que désirez‑vous ?  
- J’ai commandé l’A.S. 5 Dordogne-Nord, la Brigade Rac, puis le 50e R.I. Je suis officier d’artillerie, et je voudrais réintégrer mon arme. A quoi puis‑je prétendre ? Je sais que se constituent des groupes autonomes. En raison de mes états de services, pensez‑vous que je puisse espérer un tel commandement ?  
- Quel grade avez‑vous ?
- Capitaine, mon Colonel
- Que commande un capitaine ? 
- Une batterie, mon Colonel. 
- Alors, que venez‑vous faire ici ?

Rac claque les talons et s’en va... « L’Artillerie c’était pourtant un peu sa mère ». Vous pensiez, vous, petit Rac de rien, avoir des copains, des chefs compréhensifs et au courant des événements ; vous pensiez aussi à un peu de justice ! Attendez, vous allez voir !
- Je m’en vais de ce pas à la Direction de l’infanterie. Après tout, j’ai commandé ce 50e R.I. pas si mal, et je suis pour l’instant un « fantassin ». J’ai même commandé jusqu’au bout (j’ai peut‑être été le seul dans ce cas), car les autres F.F.I. ont été coiffés avant l’Armistice.
Alors là, c’est le panier aux crabes... J’en ai conservé une image atroce ! Dans l’antichambre, des dizaines de galonnés et d’étoilés... une véritable constellation ! Un adjudant‑chef arborant sur la manche « Rhin et Danube » plastronne derrière un genre de comptoir, et tous les « dorés » le sollicitent. Il faut remplir des fiches pour se faire recevoir. Je m’approche : 

- Pardon, mon adjudant‑chef, pourrais‑je voir quelques instants le commandant de Villeneuve ? je le connais bien, c’est à titre tout à fait personnel .
- Pourquoi, que désirez‑vous ? 
J’ai commandé... et... et... 
- Vous ?... et de me toiser des talons au col... en ajoutant, avec un sourire moqueur qui me soulève le cœur, 
- Vous 
‑ Veuillez présenter mes amitiés au commandant de Villeneuve, mais ne le dérangez pas, cela n’a plus guère d’importance .

Dernière tentative de mon chemin de croix : la Direction des F.F.I. général Joinville ; c’est le summum !. Respectueux de la hiérarchie et des convenances, je frappe à. la porte des « secrétaires ». Pas de réponse. Je frappe une seconde fois, pas plus de réponse... je pousse la porte, retire mon képi, claque les talons... et attend. J’aurais pu attendre longtemps si je n’avais fait « hum... hum... », car deux lieutenants sont plongés dans la lecture d’un quotidien parisien du soir! Enfin : 
- Vous désirez ?
‑ Nous allons voir cela.
L’un des officiers finit par s’extirper de son siège et s’avance vers un magnifique classeur métallique. A... B... C... R... voilà. Il cherche parmi les fiches et trouve effectivement « Rac » sur un carton 12‑18. Mais il n’y a rien d’autre, la fiche est vierge aussi bien au recto qu’au verso!
- Nous n’en savons pas plus.  
Merci, Messieurs, pour ce dérangement.
 
Cette fois, j’ai compris... trois coups, ça suffit. Je rejoins ma femme et mon chauffeur dans la traction qui stationne devant l’immeuble... Elle porte encore l’écusson « Rac » cette voiture ; c’est quand même beau ! Je balance mon képi au fond du véhicule : « C’est la dernière fois que tu me vois en tenue ».
C’est ainsi qu’officier de carrière, croyant pourtant avoir accompli ma part de tâche, j’ai opté pour la vie civile après dix ans au service du pays. Heureusement que ma femme est dans la voiture ; elle ramasse le képi et me le rend, car il ne faut pas provoquer de scandale. Elle a l’astuce de dire, en se mettant à rire : « Tu n’es plus qu’un petit Rac de rien du tout ».

Et nous partons, tous les trois, elle, le chauffeur et moi, d’un immense éclat de rire qui nous détend les nerfs. Voilà comment j’ai opté pour la vie civile. « Je suis... etc. »

Nontron en 1974 : Un groupe d'Alsaciens-Lorrains.
Rac et Raquette sont encadrés par Ronflet et les
docteurs Warter et Lauvray. Assise Mme Ronflet
Après dix ans de service, il aura droit à une petite pension. Devenu civil, il tâte du commerce des matériaux de construction, ne réussit pas. Il est ensuite distillateur... encore un fiasco. Finalement, il entre comme rédacteur au journal « Le Républicain Lorrain », le grand quotidien régional qui à son siège à Metz. Les années passent. Tous les étés, il vient faire un tour à Thiviers dont il est citoyen d'honneur, il participe à des défilés d'anciens, il prononce des discours de circonstances.

En 1978, il a le chagrin de conduire Tom a sa dernière demeure ; ils ont eu la joie - tous deux - d'inaugurer le mémorial de Thiviers élevé « à la mémoire des 252 camarades morts pour la France et la Liberté ». Une grande page de la vie de Rodolphe Cézard est tournée.
Pour lui, c'est bientôt la retraite : septembre 1984, il a 68 ans. Brusquement, un soir, la nouvelle parvient à ses amis : Rac est mort, enterrement demain à 14 heures. Une nombreuse délégation est venue de Dordogne : Charles Sarlandie, Pierrot Deleron, Guy Lapeyronnie, Jean Faye, Falet, l'ancien chauffeur, et combien d'autres... Fred est naturellement là. A l'église, c'est lui qui a l'honneur de porter le coussin avec les décorations et de le placer sur le cercueil : la Légion d'honneur, la belle Croix de guerre, la rosette de la Résistance, etc.
Au cimetière, c'est encore lui, Fred, qui prend la parole sur la tombe et fait pleurer tout le monde avant d'embrasser Raquette éperdue de douleur, Marc, aussi beau que son père et la pauvre petite Michèle toute menue, blottie contre ses deux enfants.
Pauvre Rac.

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