Rédigé par Alan dans la rubrique Pont Lasveyras
Discours de Pierre Thibaud, maire-adjoint de Payzac et co-président de l'Amicale des Anciens du Bataillon Violette lors de la commémoration du 72 ème anniversaire du massacre du pont Lasveyras le 16 février 2016.
Discours de Pierre Thibaud, maire-adjoint de Payzac et co-président de l'Amicale des Anciens du Bataillon Violette lors de la commémoration du 72 ème anniversaire du massacre du pont Lasveyras le 16 février 2016.
Le 16 février 1945, une petite troupe d’habitants, quelques enfants, accompagnés des maires de Savignac, Payzac et Beyssenac, se rendirent au moulin du Pont Lasveyras pour déposer quelques fleurs auprès de la croix de Lorraine de fortune plantée sur les lieux du massacre de l’année précédente. Au même moment plus de 5000 combattants issus de cette terre de résistance de Dordogne Nord et du Limousin continuaient la lutte, regroupés au sein du Bataillon Violette, nom de résistant de René Tallet et de la Brigade Rac, Armée Secrète Dordogne-Nord, après d’autres heurts sanglants, d’autres morts, après avoir libéré Périgueux, Angoulème, Cognac, Saintes, avant les opérations de Royan et l’Ile d’Oléron.
1945. Pour quelques années encore, le chemin vers le moulin se présentait comme il était à l’heure où les maquisards le prirent pour refuge, pensant pour un temps y être à l’abri du pire, comme se sentaient à l’abri les maquis de la forêt de Durestal, à Vergt, ceux du Vercors ou les jeunes étudiants bordelais cachés à la ferme isolée de Richemont près de Bordeaux et qui furent tous fusillés. Les Allemands et les horribles dénonciateurs à leur solde se sont joué de toutes les planques.
On accédait au moulin par un méchant sentier coincé entre des rocailles et l’Auvézère, sentier couvert de ronces, quasi impénétrable, où seuls se risquaient les animaux domestiques des rares fermes et moulins alentour. Un an après, en 1946, il y a juste 70 ans, se dessina le premier projet de stèle qui fut érigée des mains des anciens résistants aidés bénévolement d’artisans, tel le maçon Fouraud, de Lanouaille, de paysans et soutenus par les communes. Chacun contribua à porter une pierre à la mémoire si vive et si cruelle du moulin que l’on nommait encore « de la papeterie » ou « de la forêt ». La carrière de Dussac offrit des blocs de pierre, véhiculés sur place par la paire de bœufs de la famille Penaud à las Bordas, à Saint-Cyr. Ces volontaires construisirent dans un même devoir mémoriel la stèle de la Sarlandie en souvenir des maquisards FTP exécutés sur place après avoir posé une bombe contre une colonne allemande, le 9 juillet 1944.
L’amicale des anciens du bataillon Violette, de la brigade RAC et du 50ème RI se forma spontanément au lendemain de la guerre. Les acteurs de ce temps prêtèrent serment de ne jamais oublier les victimes du Pont Lasveyras , de leur porter à jamais l’hommage des survivants et de transmettre leur mission aux générations suivantes. Depuis 70 ans, chaque année, l’amicale, en ce lieu, a été fidèle à cet engagement.
Le 16 février 1993, dans ce qui fut hélas son dernier discours de président de l’amicale, le capitaine Charles Sarlandie, rappela que si quelques victimes furent reprises par les familles au lendemain du massacre, une vingtaine subit l’anonymat humiliant d’une fosse commune au cimetière de Payzac, alors que les autorités allemandes à Limoges et le pouvoir de Vichy interdisaient à la population de suivre le cortège funèbre de ceux qu’ils qualifiaient de « terroristes ». Certains furent inhumés par la suite au cimetière militaire de Chasseneuil et furent repris petit à petit par les familles avec le concours du service des Anciens combattants et les services de l’Identité judicaire. Trois corps restèrent longtemps anonymes, non réclamés par les familles. Regroupés en 1960, ils furent inhumés au nouveau cimetière de Payzac en 1989 dans une concession perpétuelle offerte à l’Amicale la municipalité. Malgré une identification tardive, leur caveau fait aujourd’hui symboliquement figure de tombeau au maquisard inconnu, en hommage à tous ceux qui tombèrent pour la France, seuls, sans noms, loin de leurs familles.
Dans son discours, le président rappelait qu’il fallut plusieurs années pour que l’amicale, soutenue par les communes d’origine des victimes, réussit à prendre contact avec l’ensemble de leurs familles et leur fournisse les pièces administratives afin d’assurer leur droit d’ascendant. Chaque victime reçut à titre posthume une citation à l’ordre de l’Armée et la Croix de Guerre.
Les victimes du Pont Lasveyras, avec celles de Mussidan un mois auparavant, marquèrent en Périgord et Limousin le début d’un printemps et d’un été de sang et d’horreur où les divisons Bremer et Das Reich martyrisèrent aveuglément le pays. Rien qu’en Dordogne, les historiens s’accordent pour compter pour la seconde Guerre 2600 morts, tués ou déportés, dont 1200 juifs, des civils, des maquisards. Au sein de la Brigade Rac et du Bataillon, on a relevé plus de 260 morts.
1946 – 2016 - Soixante dix ans après la première stèle en ce lieu, saluons avec le plus grand respect les derniers témoins et soyons fidèles au serment de fidélité des anciens maquisards de Rac et de Violette. Faisons tous en sorte, comme le rêvait tout haut Charles Sarlandie, que la mémoire du Cœur rejoigne, sans la trahir, la mémoire de l’Histoire.
Pierre Thibaud