Libération du prisonnier
Ovide LECOCQ
174e Régiment d'Infanterie
par Alain GODIGNON
Septembre 2O18
Préface
C’est grâce à sa famille que nous avons eu la chance d’avoir entre nos mains ce journal d’un prisonnier de guerre écrit entre le 1er avril 1945 et le 2 mai 1945. Ce témoignage authentique, original et sincère du prisonnier de guerre Ovide LECOCQ dans la Seconde Guerre Mondiale montre les émotions et le ressenti de son auteur dans les événements militaires qui vont précipiter sa libération. Aucune animosité ne se manifeste envers ceux qui l’ont gardé captif pendant 5 longues années.
Ovide LECOCQ se mariera avec Germaine, ils n’auront pas d’enfant.
C’est son neveu Christian qui a conservé le livret d’atelier d’Ovide, alors en apprentissage à la prestigieuse Maison Christofle, son journal de prisonnier de guerre, son livret militaire et autres documents de sa libération.
Qu’il soit remercié de nous offrir ce magnifique témoignage d’un temps où la France et les Français ont vécu des années difficiles, éprouvantes et meurtrières.
Alain GODIGNON
“On oubliera.
Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont.
L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le coeur consolé de ceux qu'il aimait tant.
Et tous les morts mourront pour la deuxième fois.”
Roland DORGELES (Les Croix de Bois)
La libération du prisonnier Ovide LECOCQ
du Stalag V-A en 1945
Ovide LECOCQ est né le 24 août 1915 à Ezanville (Seine et Oise maintenant Val d’Oise) de Théodore LECOCQ et de Céline MATHIEU.
Livret de travail d'apprenti
|
Il effectuera son service militaire du 1er septembre 1936 au 1er septembre 1938 sous le matricule 3584-Seine 2e Bureau.
Réserviste, il a 24 ans le 21 mars 1939 lorsqu’il est convoqué pour rejoindre le 174e Régiment d‘Infanterie en tant que soldat de 2e Classe.
Rappelons que le 15 mars 1939, l’Allemagne envahit la Bohême-Moravie sans opposition de l’armée tchécoslovaque et c’est seulement le 1er septembre 1939 que la Pologne le fut à son tour. Par le jeu des alliances, la France et le Royaume-Uni déclarèrent alors la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939.
Formé le 25 août 1939 sous le nom de 174e régiment de mitrailleurs d’infanterie de forteresse (RMIF), c'est un régiment de réserve de type RIF (Régiment d’Infanterie de Forteresse) dans le secteur défensif de la Sarre.
Ligne Maginot et le secteur fortifié de la Sarre n°13 (source Wikipédia) |
des Nations. L'exploitation minière est déléguée à des sociétés françaises. L'annexion de la Sarre, française jusqu'en 1815, reste dans un premier temps envisageable. Dans ces conditions, la fortification de la frontière à cet endroit est politiquement inopportune.
La ligne Maginot, dont la construction commence en 1927, est donc laissée interrompue le long des quarante kilomètres de la partie centrale de la frontière sarroise qui fait face à Sarrebruck. C'est la trouée de la Sarre.
Toutefois des ouvrages d'eau sont entrepris entre le village de Hoste, sur le ruisseau de Valette, et la rivière Sarre à hauteur de Wittring. Barrages, canalisations et vannes permettent d'inonder les champs en cas d'offensive ennemie.
Conformément aux clauses du Traité de Versailles, un referendum doit être organisé pour décider du sort de la Sarre. Le 13 janvier 1935, les Sarrois choisissent massivement le rattachement à l'Allemagne nazie et celui ci devient effectif à partir du 1er mars 1935. Le corridor laissé libre inquiète l'état-major français et sa fortification est décidée. Les retenues sont creusées pour permettre d'augmenter le débit des inondations et rendre le terrain impraticable en trente six heures » (source : Wikipédia - Secteur fortifié de la Sarre). Ovide LECOCQ est donc dans un secteur faiblement fortifié.
La « drôle de guerre » est la période où chacun s’épie, retranché derrière ses fortifications et qui va durer du 3 septembre 1939, date de la déclaration de la guerre par la France, au 1O mai 194O, date de l’offensive allemande. Dès les premiers jours de la déclaration de la guerre, l'armée française ne fera que lancer l'offensive de la Sarre avant de se replier derrière la ligne Maginot. Les Alliés attendent l'assaut des forces allemandes, elles-mêmes retranchées derrière la ligne Siegfried. C'est un conflit sans combats majeurs, seulement quelques escarmouches entre patrouilles de reconnaissance (source : Wikipédia - Drôle de guerre).
Le 1O mai 194O, les armées allemandes lancent une vaste offensive sur les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg violant la neutralité de ces États puis à travers les Ardennes (la percée de Sedan) afin de prendre à revers la ligne Maginot. Le recul précipité de l'ensemble des armées françaises de l'Est s’ensuivit.
Le 174e RMIF vient se battre et repousse le 14 juin 194O les assauts allemands sur les communes de Holving et de Rémering en Moselle. Le régiment parvient, au prix de lourdes pertes, à contenir largement les troupes allemandes avant de se replier le lendemain.
L’armistice est signé le 22 juin 194O mais Ovide LECOCQ est fait prisonnier le 25 juin 194O à La Salle (Vosges) près de Saint-Dié-des-Vosges soit trois jours après l’armistice. L’Allemagne veut ainsi neutraliser l’armée française en cloîtrant quelques 1 845 OOO soldats français dans des camps de prisonniers.
Localisation du Stalag V-A (source : Wikipédia) |
Ludwigsbourg (en allemand : Ludwigsburg) est une ville située en République fédérale d'Allemagne dans le Land du Bade-Wurtemberg et située en banlieue nord de Stuttgart, au bord du Neckar.
La plupart des simples soldats furent envoyés dans des camps de travail (kommandos) dans la région afin de travailler dans des usines, à réparer des routes et des voies de chemin de fer ou bien travailler dans des fermes. Toutefois l’administration de ces « arbeitskommandos » était dirigé de Ludwigsburg, qui était aussi responsable de la répartition des colis de la Croix Rouge et du courrier.
Localisation du Stalag V-A Source : http://prisonniers-de-guerre.fr |
L’intention de l’auteur est certainement d’avoir voulu marquer et enregistrer ces évènements qu’ils pressentaient exceptionnels pour la suite de sa vie et pour le destin de la France. Nous avons respecté les écrits de l’auteur ; son écriture est quelquefois chahutée montrant l’inconfort de sa situation pour écrire. Il narre les changements dans l’opinion tant de la population allemande à l’approche de la capitulation que celle des français lorrains à son retour de captivité. Quand nous jugeons utile une correction pour la compréhension du texte, nous proposons une alternative entre crochets [...]. Au début de son journal, il fait l’impasse sur le mode de locomotion mais très vite, au vu de la carte des étapes, nous en déduisons que le groupe chemine à pied. Point (ou très peu) de mots sur les sentinelles allemandes qui les accompagnent ! Tout cela pour Ovide est une évidence et il ne le mentionne pas.
Le journal d’Ovide LECOCQ
D [Dimanche, jour de Pâques] 1. 4. 45
Journal d'Ovide LECOCQ |
socialiste et vivement que les anglos américains soit là ». Je ne crois pas voir dans ma vie un revirement aussi complet que celui-ci. En 194O tout le monde levait la main ; à présent chacun prépare secrètement ou sa fuite ou son ravitaillement. Les paysans cachent sous terre leurs provisions : pommes de terre, viandes. Ils se servent de torpilles non finies qui devaient être jetées en sol ennemi. Notre employeur c’est fait construire un abri d’une quinzaine de mètres de profondeur. Celui ci correspond avec sa maison. Il a fait construire 2 chambres à l’intérieur et en même temps a emmagasiné victuailles et boissons ce qui fait qu’il attend avec impatience l’arrivée des ennemis. Tous les Allemands sont dans le même état d’esprit. Ils sont heureux car ils sentent que leurs misères touchent à son theme [terme]. Pour la population la vie est intenable : les hommes valides sont partis, il ne reste que des infirmes ou des estropiés. Les femmes et enfants assurent le travail des champs, le travail de l’usine, tenir la maison familiale et entretenir les bestiaux par la dessus faire des abris souterrains. Ajoutez à tout ceci la crainte de l’aviation qui sans trêve ni répit sillonne le ciel et vous aurez un tableau de leur vie. Sans compter l’effet moral des bombardements aux environs et la mise à feu et à sang des villes comme Sforzheim [Pforzheim] et Heilbronn pour notre secteur.
Depuis quelques jours nous sentions que la situation ne pouvait plus durer. Le matériel allemand refluait. La nuit c’était un défilé incessant de camions gazo gêne traînant en remorque jusqu’à 3 conduites intérieures [automobile entièrement fermée où la place du chauffeur se situe à l'intérieur de l'habitacle, en opposition au coupé chauffeur, où celui-ci se trouvait à l'extérieur] ou bien un autre camion. Un attelage hippo en remorquait autant. Les chevaux maigres a faire peur. Les hommes fatigués à l’excès. Malgré tout peu de matériel lourd : artillerie ou chars. Tout ce monde refluait de nuit dans un grand désordre. De jour par crainte des avions il ne passait que des soldats à pied. Ils traînaient la jambe se couchaient et dormaient n’importe où : sur les tas de pierres, dans les bois, les champs, les fossés. La plupart était sans armes. Ils mendiaient, la menace à la bouche, auprès des paysans qui les voyaient venir avec terreur car les soldats prenaient sans tenir compte de leurs besoins. Si par hasard ils n’avaient pas selon leurs désirs de leur propre autorité ils perquisitionnaient. Cependant le front se rapprochait. Par moment nous entendions très bien les rafales de mitrailleuse. En escaladant la colline devant notre Kommando [Ovide LECOCQ est donc placé dans un Kommando de travail ou arbeitskommandos ; c’est une unité de travail forcé souvent distante du camp principal] nous apercevions distinctement les gerbes des arrivées d’obus. Dans la nuit du 1er au 2 avril une batterie allemande tirant derrière nous nous empêcha de dormir. Nous étions très nerveux car des nouvelles contradictoires concernant notre départ nous parvenaient. Nous souhaitions une avancée rapide des Anglos Américains.
Elle ne c’est pas produite et en conséquence le 3 avril à 9.45 [9h45] du matin nous partions. Notre groupe était composé de 27 Français et d’environ 6O soldats russes. Cette étape devait être la plus longue. Nous avons été jusqu’à Sternenfels et là une trentaine de soldats Français grossit notre groupe.
Voici l’itinéraire de notre première étape :
Départ de Derdingen à 9H45 [la localité n’a pas été identifiée avec cette orthographe, il est probable qu’il s’agisse de Oberderdingen située à 4 km environ de Sternefels au vu la durée du temps de trajet à pied de 1h3O]
Arrivée à Sternefels 11h15
Départ de " " 12h3O
Passé à Diefenbach 13H15
" à Zaisersweiher 14H15
" à Schützingen 15H15
Arrivé à Illingen 19HOO
Parti de " " 2OH
M 4. 4. 45
Arrivé à Hochdorf à 1H. [soit 3O km parcourus environ lors de cette première étape]
Arrivé à notre cantonnement à 2H.
Bien que l’adjudant qui commandait était parti à 2O heures pour nous désigné une grange nous avons perdu une heure à attendre. Cette étape parut très dure à tout le monde car le manque d’entraînement handicapait
Le matin réveil à 7 heures. Départ à 8H3O
Passé à Hemmingen à 9H3O
" " Schönckingen [Schöckingen] à 11H
Arrivé à Hirschlanden à 11H3O
Cette étape fut courte. Nous avons bénéficié d’une demie journée de repos. Elle fut bien accueillie. Les habitants se désintéressant des évènements de la guerre n’ont pas compris pourquoi nous étions là. En est-il pareil maintenant ? Malgré tout les habitants furent aimables. Nous avons trouvés une marmite pour faire cuire quelques pommes de terre et un débit de boissons nous a vendu du cidre.
Nous sommes repartis le 5. 4. 45 à 5H3O en abandonnant 2 camarades hospitalisés.
Départ de Hirschlanden à 5H3O
Passé à Ditzingen à 6h3O
" " à Gerlingen à 8H
" " à Vaihinge [Vaihingen] à 14H
" " à Mörhingen à 15H3O
" " à Degerloch à 17H
Sillenbuch à 19H
Arrivée à Ruit à 2OH
" au cantonnement à 2OH3O
Pas de paille pour coucher. La pièce était sale et ouverte à tous les vents. Des jeunes garnements d’une quinzaine d’années revêtus d’un uniforme ont hurlé une partie de la nuit. Guère possible de se reposer dans ces conditions. Nous avions hâte de repartir. Voici l’itinéraire et l’horaire de l’étape du 6. 4. 45
Départ de Ruit à 9H3O
Passé à Willingen à 1OH3O
" " à Denkendorf à 11H3O
" " à Deizisau à 15H15
" " à Plochingen 16H3O
Arrivé à Reichenbach 18H3O.
Après 1 Kilomètre d’une dure montée nous sommes arrivés à une bergerie pour son tonner [?]. Pas mal de paille mais avons eu lourd en dormant.
Le lendemain 7. 4. 45 nous redémarrions à 8H.
Départ de Reichenbach à 8H
Passé à Ebersbach à 9H
" " à Uhingen à 9H45
" " Fourndau à 11H [Faurndau]
Göppingen à 12H15
La salle des fêtes nous accueillit. Manque de confort. Pas un brin de paille et salle froide la nuit après que les fourneaux furent supprimés.
La vie de bohémiens commence la pour nous. Chaque groupe se prépare un petit feu à l’air libre dans l’espoir de cuire quelque chose. Mais le ravitaillement commence à manquer.
Depuis le débarquement Anglo américain en France au mois de juin 1944 les colis n’arrivent pratiquement plus. Nous touchions de temps en temps un colis américain, mais ceux ci insuffisant pour faire une réserve en cas de départ. D’ailleurs le dernier touché fut pour 2 hommes et celui que nous devions avoir pour 4 hommes. Tout ceci pour montrer le peu de vivres en notre possession. Nous avions déjà consommé en route et nous sommes arrivés à Eislingen bien pauvres. De l’armée allemande nous avons touchés une boite de viande de 85Ogr pour trois jours et pour 3 hommes avec le quart d’une boule de pain par homme et par jour : et d’autre part 2 petits fromages crème de gruyère par jour et par homme et un quart de boule de pain par jour et par homme tout cela devant nous mener jusqu’au 13.4.45 à midi. C’est peu et l’estomac crie famine. A notre arrivée à Eislingen nous avons retrouvés environ 12OO de nos camarades dans le même cas que nous. C’est la première fois depuis 5 ans que je vois tant de Français à la fois. Chacun pense que maintenant la guerre ne peut durer bien longtemps.
Nous avons reculés d’une centaine de Kilomètres et le canon s’entend toujours. L’aviation principalement des bombardiers survole la région. Aux dernières nouvelles nous ne partirons pas
demain.
D Le 8. 4. 45 et le 9 L
D Le 8. 4. 45 et le 9 L
Nous ne bougeons pas aujourd’hui et peut être non plus demain 9. Étrange cet arrêt après notre hate de ces derniers jours. Il circule des nouvelles plus ou moins sensationnelle. Certains évacués de notre région qui se dirigeait sur Ulm ont été refoulé. Des éléments isolés de l’armée allemande continue à passer ou isolément ou par petits groupes en bicyclettes. L’évacuation civile continue mais au ralenti ici.
Le beau temps continue. Nous partons demain à 4 heures pour une petite étape.
M Le 1O. 4. 45.
Réveil à 2H. La préparation et le départ ont été parfaits. Nous étions environ 15O à 2OO dans la salle des fêtes. Nous avons chargé en partie notre carriole à bras à l’intérieur de la salle et complété le chargement à l’extérieur. Après avoir remis de l’ordre dans la salle nous partons.
Départ de Eislingen 4H
Passé à Goppingen
" " Reichberghausen [Rechberghausen]
Arrivé à Oberghausen à 8H [localité non identifiée, il parait probable qu’il s’agisse de Oberhäuser car il existe une Oberhäuser Strasse à Rechberghausen qui, avant d’être rue de nos jours, fut peut être un village !].
Ce ne fut pas à proprement parler une étape : nous avons changés de bien de résidence. A noter que nous avons reculés de 4 Kms en revenant sur Stuttgart. J’ai vu quelques dégats matériels causés par l’aviation en passant à Göppingen mais insignifiants par rapport à l’importance de la ville. Nous sommes quatre cents dans un hameau de quelques habitants. Nos autres camarades sont dispersés aux alentours. Nous avons en partage une grange ouverte à tous les vents. Très peu de paille. Le secteur est pauvre en culture, le paturage domine. Très peu d’eau potable. Un robinet pour notre centaine de bonhommes et encore que le matin et le soir ? Comme tout le monde a faim c’est la virée vers les près pour chercher des pissenlits. Bien lavés nous les avons mangés à la croque au sel sans sel naturellement.
M 11. 4. 45
Nous parlons déjà de repartir. Pour améliorer notre menu notre petite équipe a de l’idée de faire cuire une grande marmitée de pissenlits qui heureusement se trouve en abondance par ici. Ce n’est pas la meuse mais calme la faim. Pour demain nous recommencerons. Intrigués par les cris que poussaient à longueur de journée les bêtes de la ferme j’ai été les visité. Mais quelle surprise ! Celles ci sont dans un état pitoyable. Crottes de partout, sales à faire honte, elles couchent sur le pavé sans paille. M’étant renseigné auprès du P.G.F. [Prisonnier de Guerre Français] qui travaillait pour la ferme j’appris que l’armée avait réquisitionnée le foin et que devant la pénurie de celui ci le fermier donnait au bétail en même temps que le peu de foin qui lui restait pas mal de mal [?] se qui expliquait tout. Alors vraiment ces pauvres bêtes sont maigres. L’aviation n’a pas cessée de sillonner le ciel aujourd’hui. Presque tous des Bi moteurs. J’ai été prendre un bain ce matin au ruisseau en bas du pays. Je viens d’apprendre que les banques d’Allemagne fermaient leurs portes et arrêtaient l’émission de billets. Si c’est vrai c’est un grave signe de défaillance mais j’en doute. Le temps continue a être beau. Nos gardiens nous ont interdits de circuler aux environs du camp [Ils ont donc des gardiens]. La raison donné est simple « Les habitants se plaignent que les poules et les lapins disparaissaient et que d’autre part les champs de pommes de terres ensemencés étaient pillés ». Quoi d’étrange à cela puisque nous ne touchons pas de ravitaillement. Le plus triste c’est que nous allons vivre dans la crasse puisque l’accès au ruisseau nous est interdit et qu’il n’y a pas d’eau dans le village.
J 12. 4. 45
Au réveil j’ai eu une surprise. Le temps avait changé et il pleuvait. l’aviation n’a pas cessée de nous survoler cette nuit et le canon de gronder. Rien de nouveau. Le temps commence a me peser. J’ai fais quelques travaux de coutures urgents. Alors que nous étions couchés l’ordre de partir est venu nous surprendre au lit. Les paysans ne veulent plus nous voir ici car nous faisons autant de dégâts qu’une nuée de sauterelles. En sorte que demain nous repartons au lieu de notre ancienne étape.
V 13. 4. 45
Plan B - cartographie Google Maps |
que nous avions quittés quelques jours auparavant. La place pour chacun était minime car nous étions 26O à loger. Nous devons repartir demain à 2 H pour d’où nous venons. Nous sommes indésirables partout. Personne ne veut nous prêter assistance. Et pourtant cette population ingrate oublie que nous avons travaillés cinq ans pour leur patrie donc pour eux. La mémoire leur fait défaut. Aujourd’hui nous avons touchés 2 boules pour 2 jours et pour 3 hommes ; un peu de beurre et de margarine et un peu de viande cuite et pour couronner le tout de la soupe chaude. Jamais nous n’avons eu autant depuis bientôt quinze jours.
S 14. 4. 45
Nous devions partir cette nuit mais il y a eu contre ordre. Un de nos gardiens nous apprend, tout joyeux la mort de Roosevelt. Je ne vois pas l’effet possible de la répercussion de cette mort sur les évènements de guerre. Nous avons eu du ravitaillement : une soupe chaude et un morceau de viande.
D 15. 4. 45
Ce coup ci c’est décidé, nous partons cette nuit. Beaucoup de pièces de D.C.A. reviennent de la direction de Stuttgart et se dirigent vers Ulm. Certains étaient sous le signe de la Croix Rouge Internationnalle. Activité de l’aviation Anglo Américaine qui a bombardé Goppingen.
L 16. 4. 45
Nous sommes partis à 4 Heures.
Plan C - cartographie Google Maps |
M 17. 4. 45
Rien à signaler aujourd’hui. J’ai pris un bain au ruisseau et j’en ai profité pour faire ma lessive. Nous continuons à compléter le peu de ravitaillement que nous touchons par l’apport de pissenlits crus ou cuits.
M 18. 4. 45
Nous avions décidés d’aller mendier des pommes de terre aux paysans des alentours. En conséquence je suis parti avec trois de mes camarades, ayant comme objectif un village perché comme un nuit d’aigles et se trouvant à plus de dix Kilomètres. Très bien reçu car ces gens étaient isolés du reste de la campagne étant situés trop haut dans la montagne. J’ai mangé du pain frais, du beurre frais, de la compote de pommes et des crêpes faites en notre honneur. J’ai bu du cidre à volonté. Nous avons rapporté environ quarante kilos de pommes de terre. Le retour nous parut long.
J 19. 4. 45
Retournés aux pommes de terre. Mauvaise cueillette pour beaucoup de chemin et une grande fatigue car la journée était superbe et le soleil tapait dur. De retour chez nous à 5 heures du soir. Toilette et puis repas. Vers 6 heures des avions alliés ont attaqué un convoi ou un dépôt de l’armée allemande a environ 2 Kilomètres de chez nous. Après leur départ beaucoup de fumée et des petites explosions a n’en plus finir. Pendant que nous écoutions ce concert nouveau genre des explosions d’obus de plus en plus rapprochés nous parvenaient. Le village voisin situé sur une éminence flambait. Tout le monde était perplexe car le bruit des explosions du convoi ou dépôt allemand, le bruit du mitraillage des avions alliés qui sans cesse survolaient ce petit secteur et le bruit des obus se mélangeait et contrastait avec le
silence du reste de la journée. Soudain un cri s’élève. Tout le monde dans les granges les Américains arrivent et tirent, il y a danger. Stupéfaction générale car la surprise était grande. Nous écoutions ces bruits avec angoisse car la crainte du recul de cette pointe avancée nous talonnait. A 7 heures et demie nos gardiens reçoivent l’ordre de préparer leurs sacs et à 8 heures sans une parole, un geste ou un regard pour nous, après avoir entassé leurs bagages dans une voiture à bras ils sont partis la tête bien basse ressemblant à des chiens battus. Ils essayaient d’échapper aux anglos américains mais à 1O heures étaient accrochés et capturés. Ils ont été dirigés directement sur l’arrière avec seulement comme bagages un mouchoir de poche. Juste retour des choses d’ici bas. L’énervement était à son comble. Le bruit des moteurs s’intensifiait de plus en plus. Après s’étendre à notre droite il filait à gauche. Un homme ayant été blessé dans les alentours personne n’avait bouger. Enfin notre homme de confiance établit la liaison avec des officiers américains. Aucun français de l’armée régulière Française.
La canonnade des chars, après 3O minutes, diminua d’intensité pour s’éloigner complètement peu de temps après sur la gauche et la droite. Après avoir attendu Minuit la plupart d’entre nous alla s’allonger sur la paille de notre grenier.
V 2O. 4. 45
Au petit jour nous étions debout. Toujours ce bruit ininterrompu de moteur. Nous avons vu pour la première fois des avions d’observation. Ils ressemblent à de grands planeurs motorisés. Un camarade plus hardi que les autres est parti en reconnaissance malgré l’interdiction formelle de sortir et le danger de mort que cette sortie représentait. Il est revenu chargé de cigarettes et de conserves et à la bouche un récit merveilleux. Notre état venait de changer. De prisonniers nous passions soldats de l’armée Française en lutte contre l’Allemagne. De plus comme nous n’avions rien pour nous nourrir, comme toute troupe d’occupation, nous avions le droit de réquisition. Tout ceci sous la protection de l’armée Américaine. Quelle joie parmi nous. Il était temps d’ailleurs. Pour mon compte le 31 mars je pesais 66 Kilos. Le poids des vêtements et de la paire de chaussures en plus retiré, il ne restait plus beaucoup pour mon corps. Si je retire encore le poids que j’ai perdu pendant cette randonnée de quinze jours de jeune je ressemblais assez à un squelette ambulant. Aussitôt le retour de notre camarade et malgré l’interdiction 3 camarades et moi nous avons sorti pour aller voir. Mais nous étions embarrassés car le matériel défilait sur 3 routes. Après nous êtes décidés pour l’une d’elles nous voici arrivés. Le matériel défilait sans cesse : camions de tous genres et de toutes grosseurs, chars d’assaut de toutes grosseurs, voitures de liaison innombrables, quantité d’engins à destination inconnue et à emploi ignoré, aucune motocyclette, beaucoup d’ambulances.
Les hommes paraissaient exténués tout couvert de poussière, les traits tirés. Parmi eux des hommes de couleurs. Le matériel paraissait fonctionner à merveille. En passant quelques soldats lancèrent des cigarettes. La population allemande trouva se changement de pouvoir tout naturel. Il n’y eut dans le village ou nous avons vu passer la troupe aucun mort et par la suite aucun mouvement d’animosité contre les envahisseurs. Après avoir regardé un bon moment nous sommes revenus à notre petit village de Lerchenberg.
S 21. 4. 45
Rien de nouveau. Nous mangeons très bien : viandes et pommes de terre de réquisition. Après cinq ans d’abstinence cela paraissait bon. L’aviation sillonne le ciel sans arrêt.
D 22. 4. 45
Avec 3 camarades nous avons été à Hohenstaufen, petit village voisin du nôtre. Là il existe un petit mont surmonté d’une tour en bois qui se trouve à 586 mètres d’altitude. Notre vue se portait très bien au moins à vingt Kilomètres. Le matériel comme un grand serpent défilait sous nos yeux. Nous l’apercevions à l’horizon derrière nous pour disparaître également à l’horizon mais devant nous. Aux endroits où la route disparaissait dans la forêt, un épais nuage de poussière marquait le passage des voitures. Tout autour de notre point d’observation des localités brûlaient : Goppingen, Esslingen, Stuttgart et bon nombre de villages entre autres un de ceux ci simplement rasé. Nous n’arrivions pas à nous rassasié la vue. Enfin nous avons redescendu.
L 23. 4. 45
Le temps commence à nous peser. Évidemment ici au point de vue ravitaillement nous sommes très bien, mais pas mal de soldats allemands SS rodent dans les bois environnants et nous n’avons aucune arme défensive. La véritable raison la voici : nous voudrions rentrer en France. Notre homme de confiance nous a dit de nous tenir prêts à partir et de ne pas s’éloigner du camp.
M 24. 4. 45
L’impatience est à son comble aujourd’hui. Beaucoup de renseignements contradictoires nous parviennent, la plupart de ceux ci sont sans fondements mais ils contribuent à l’énervement général. La plupart de mes camarades sont décidés à partir malgré le danger que présente une marche à travers les éléments combattants. Il faut admette que notre situation a quelque chose d’anormal ! Nous sommes plus de quinze cents prisonniers de guerre Français dans un espace très restreint. Nous espérons entrer en rapport avec les autorités militaires Américaines ou Françaises pour recevoir ou des ordres ou des directives à suivre. Au lieu de cela nous avons rencontré l’indifférence générale. Ce soir la plupart de mes camarades sont décidés à partir après demain au plus tard car demain notre homme de confiance doit aller à nouveau voir les autorités.
M 25. 4. 45
Ce matin en nous levant surprise : le temps c‘est remit au beau. Il fait froid mais le soleil est radieux. De très bonne heure des avions de transport bi-moteurs ont fait leur apparition. Ils ne devaient pas cesser leur passage de toute la journée. A 2H l’homme de confiance nous réunit pour nous dire ceci : « Devant la carence des autorités et l’incertitude de notre sécurité il se voyat dans l’obligation de nous inviter à partir par nos propres moyens en direction de Gmünd » ; cette décision a calmé un peu les nerfs malades. Mais à 4H enfin est parvenu un ordre ferme. La 3ème et 4ème Compagnie ou groupe devaient se rendre à Gmünd le lendemain et vraisemblablement nous allons recevoir ce même ordre. Ce fut un soulagement général. Mais comme nous devions nous rendre dans des casernes et ensuite transportés en camion vers la France il fallait que les bagages soient réduit à leur plus simple expression. Aussitôt tout le monde se mit à la besogne, l’un brulait l’autre déchirait ou découpait. Pour mon compte tout était en ordre et réduit à sa plus simple expression.
Nous attendons avec un peu plus de patience les jours à venir. L’avenir immédiat nous paraît un peu moins sombre.
Malheureusement le soir venu il ne fut même pas question et l’on nous recommanda la patience une nouvelle fois.
Nous étions tous décidés à partir demain matin.
J 26. 4. 45
De bon matin départ en direction de Gmünd. Arrivé en cette ville sans aucun incident vers 11H. La nous apprenons que des camions américains allait faire le transport des prisonniers vers Mannheim. En conséquence vers 11H du soir nous embarquions. Notre voyage dura 1OH car nous sommes arrivés qu’à 9H à Gmünd. Notre randonnée fut très fatigante. J’ai vu les dégats causés par les bombardements aériens sur Heilbronn et ensuite sur Mannheim. C’est inimaginable et incroyable en même temps.
Nous sommes par groupes de 39 la quarantième place étant réservée pour les bagages à notre arrivée à la gare de départ. Mais quel désordre ici. L’on y voit de toutes les nationalités. Toute la racaille française femelle ou male se trouve réunie ici. J’ai honte d’être français en ce moment.
S 28. 4. 45
Bien que couché sur le plancher j’ai fait une excellente nuit. Ce matin un convoi auto c’est formé pour transporter uniquement des ex-prisonniers Français à la gare de Ludwigschaffen. Le groupe 142 fut le dernier embarqué. Nous portons le numéro 157 et nous faisons partie du prochain convoi.
D 29. 4. 45
Espoir déçu. Le convoi ne part pas. Je crois que le prisonnier de guerre rapatrié est un indésirable. Ici c’est le désordre organisé. Si cela continue nous allons connaître un 2ème Strasbourg.
L 3O. 4. 45
Peut être allons nous partir ce matin. Je crois que c’est décidé. Le groupe 157 auquel j’appartiens est appelé sur l’aire de départ. Les camions ne tardent pas à être la et à partir pour la gare de Ludwigschafen. A 8H nous y sommes. Nous attendons jusqu’à 2 heurs 1/2 que les 45 wagons soit remplit et que nous ayons touché 1 boite de conserve pour 4 hommes et une boule de pain pour 1O. Le voyage fut sans histoire sinon qu’il fut très fatigant le plancher des wagons de marchandises étant démunie de ressorts. Que de peines. La gare de départ et la ville sont rasés. Tout le long de la voie jusqu’à la frontière française, les villes sont dévastées, rasées en un mot anéanties. C’est un spectacle indescriptible. Qui ne l’a pas vu ne pourra jamais s’en faire une idée. A minuit exactement nous arrivons à Sarrebourg en Lorraine.
M 1. 5. 45
Après que notre groupe de 18OO se fut restauré et que les 4OO civils et enfants eurent trouvés leur asile nous partons nous coucher. Aucun carreau aux fenêtres aussi je n’ai pas put fermer l’oeil de la nuit ni mes camarades non plus car le froid était très vif. Au petit jour je vais m’oter la crasse de poussière au
lavabo. A 7 heures casse croûte une tasse de café et un morceau de pain blanc. Mais que celui ci me parut bon après 5 années d’oubli. A 8 heures les formalités de démobilisation commence. Ici le service est admirablement organisé par des jeunes filles volontaires. Seulement à ce moment la j’ai senti que nous n’étions pas de trop en France. A 9 heures pour moi qui était dans les premiers toutes les formalités pour ce camp ci étaient terminées. Ceci pour montrer la bonne organisation régnant dans les services et surtout pour montrer l’accueil vraiment cordial reçu pendant celles ci. Avec un camarade j’ai fait un tour en ville. Quel changement ! En 1936 chacun se faisait un point d’honneur de parler au militaires en Allemand. Aujourd’hui le contraire se produit. Versalité de l’âme des Lorrains. Nous avons eu un repas léger mais suffisant pour le midi. Le départ est annoncé pour 9H mais à 9H2O après avoir perçu un petit colis individuel et un paquet de tabac le train s’ébranle. Nous avons roulé toute la nuit.
Plan D - trajet de libération - cartographie Google Maps |
M 2. 5. 45
Vers 2 heures 3O dans le froid et les ténèbres de notre wagon une musique militaire nous surprend : nous arrivons à Nancy qui nous fit un accueil charmant ; après une petite allocution l’on nous invita à boire un bouillon manger 2 biscuits et boire un petit verre de vin. Tout ceci accepté de grand cœur car nous étions gelés dans notre wagon. Ici le caractère de chacun a subit une très nette détente. Le service fut admirablement organisé et pourtant nous étions 18OO à satisfaire. A 5 heures le train repartait. Le reste du voyage s’accomplit sans encombre sinon que le froid nous fit souffrir et à 9 h 3O nous arrivions à Revigny sur Meuse [Revigny-sur-Ornain]. Il y avait exactement un mois que nous errions sans but partout dans l’Allemagne. Ici service bien organisé aussi et accueil chaleureux. Les formalités furent moins conséquentes qu’à Sarrebourg. Elles furent vites finies. Nous avons touché un colis individuel pour le voyage. Le midi le déjeuner fut bon : un petit morceau de boudin, une purée de pommes, un morceau de boeuf, du pain blanc et un petit morceau de pain d’épices et puis j’allais oublier un petit bol de vin. Quelle joie ! Après avoir erré dans le camp une partie de la journée le haut-parleur appelle la lettre B Bleue au rassemblement pour le départ. Le train partait à 5 heures le soir. Nous venons de passer Chalon ou un verre de café nous fut offert gracieusement. La température s’adoucit insensiblement. Nous sentons le retour au climat tempéré ».
Le récit d’Ovide LECOCQ se termine ainsi, brutalement. A posteriori, il n’a jamais complété le récit de la fin de son odyssée ; peut-être pour ne pas raviver 5 années de souvenirs
d’une longue captivité !
effectuées à Sarrebourg (Moselle).
Sa carte de rapatrié indique que le Service de Liquidation du Centre de Libération de Versailles a tamponné sa carte le 4 juin 1945. Il était ainsi démobilisé.
Le 5 juin, la Direction de Seine-et-Oise du Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés lui attribue : une chemise, un caleçon, des chaussettes et le 14 novembre 1945, un costume et une paire de brodequins a une date inconnue ! Il obtiendra sa carte du combattant le 1O juin 1957 sous le n° 17822O.