Des petites histoires de Noël 1943

Rédigé par Alan et Tony

Chers lecteurs et lectrices

Nous vous souhaitons de passer d'excellentes fêtes familiales, un joyeux Noël et une bonne et heureuse année 2O2O ainsi qu'à celles et ceux qui vous sont chers.



Des petites histoires de Noël

Chez Lautrette : Réveillon de Noël 1943

« Tac, tac... » ... « Tac, tac... », c’était sa façon de passer inaperçu quand Georges Lautrette « Eric » traversait Thiviers après le couvre‑feu, chaussé de ses gros sabots, sans lesquels il risquait toujours le « faux‑pas ».

Faites très attention, disait‑il, les Feldgendarmes patrouillent dans le patelin ; il ne s’agit pas de se faire repérer.

Il allait et venait, ainsi, pour voir Pierre, Paul ou Jacques, avec lesquels il prétendait avoir convenu d’importants entretiens.

Personne ne sut jamais où il se dirigeait et ce qu’il allait y faire. Il avait une manière à lui de s’engager et de se tirer d’affaire que nous ne pouvions comprendre ; celle du « terroir » sans aucun doute.

Sa grande satisfaction était de rentrer avec un « cadeau ». Quand il avait réussi un « coup », son visage s’illuminait, il s’esclaffait ; encore une bonne blague faite à l’occupant. Dans son garage de la route de Limoges et dans sa réserve située de l’autre côté de la voie ferrée il commit les pires « infractions » au régime. II avait une superbe réplique : T’inquiète..., ce qui devait suffire à vous rassurer.

Rac (Rodolphe Cézard), sa femme (Raquette) et Tom (Jean Nicard) se souviennent fort bien de ce réveillon de Noël 1943 où Andrée Lautrette avait mis les petits plats dans les grands, pour la famille et quelques amis.
Belle photo de Georges et
son épouse Andrée, née Cruveilhier.

A l’apéritif, lait de Montbazillac (que Georges allait chercher par petits barricous au nez et à la barbe des Allemands), le maître de maison donna des signes évidents d’impatience; il se trémoussait sur son siège, regardait sa montre, se grattait la tête... puis il se leva, descendit l’escalier, tira le rideau du garage, et l’on entendit la Simca prendre la route.

Où va‑t‑il encore ? ‑ On verra bien ; et l’assistance fit semblant d’oublier son absence.

Une heure plus tard, alors que les convives venaient d’attaquer le foie gras maison, Georges se faufila en silence et reprit sa place à table. Mais qu’as‑tu fait ?... on dirait que tu as le hoquet ? ‑ Ce, ce... ce n’est rien, une course urgente.

Nous étions à la fois sceptiques et inquiets : Mais encore ? Rac lui demanda un tête‑à‑tête de quelques instants : Alors? d’où viens‑tu ? ‑ Je viens... je viens de faire sauter la scierie de Corgnac. ‑ Tout seul ? ‑ Bien sûr !

Il but une gorgée, le hoquet se passa et la fête prit dès lors l’allure d’une victoire.

Il était bon et généreux, prêt à accomplir toutes les missions qui pouvaient se présenter. Il s’acquittait de ces tâches avec humour. Je crois même que, dans les moments les plus difficiles, il trouvait le temps pour rire, car il voyait les choses simples, très simplement, un atout majeur, qu’il n’est aisé de s’approprier.

Il avait tout offert à Rac, son amitié, son temps, sa famille, son foyer, sa situation. Il n'avait pas hésité à mettre sa parenté largement a contribution (à doueyras, aux Farges).

Il représente pour Rac, l’ami, le vrai, et la Résistance dans sa signification la plus sincère.


Chez la famille Duruisseau : L'arrivée d'un Anglais 

(D'après le récit de René Rispard, de Guy Berger et le témoignage du capitaine Jacques et de la famille Duruisseau.)


Jeudi 23 décembre 1943


Au début de la deuxième quinzaine de décembre un télégramme annonce à Jean-Louis (René Chabasse) l'arrivée d'un Anglais en gare d'Angoulême. Pasteur (Guy Berger) est chargé de l'accueillir : « Je m'attends, écrit-il, à recevoir un jeune homme et c'est un petit vieux tout décharné, malade, usé, qui debarque, conduit par une inconnue de Paris. Je suis quelque peu surpris et je l'emmène au Quéroy par le train. Comble de malheur il ne peut monter à bicyclette et je reste avec lui dans un bistrot en attendant le Batteur (Edmond Duruisseau), parti à la recherche d'une moto pour l'emmener. Nous buvons un viandox bien chaud ; des boches entrent. Mon client me regarde inquiet et je cligne de l'oeil pour le rassurer.


Le père Duruisseau, prévenu de l'arrivée d'un Anglais, l'attend avec fébrilité. Trompé sur son aspect et croyant avoir affaire à un compatriote, il lui offre un siège au coin de la cheminée et entame avec lui une conversation en français. Naturellement le père Duruisseau en fait tous les frais ; le monologue se poursuit un certain temps et l'interlocuteur prononce enfin quelques paroles... en anglais. Le père Duruisseau en reste bouche bée ; il est complètement abasourdi pendant quelques instants. Soudain il réalise qu'il a devant lui un hôte etranger et qu'il ne l'a pas reçu avec assez de chaleur et de politesses. Brusquement il se redresse et salue cérémonieusement ce « citoyen de la libre Angleterre » qui'il ne se représentait pas comme cela. Pourvu qu'il ne s'imagine pas que tous les habitants d'outre-Manche sont aussi mal fichus !


Le 31 mars 1944 - Forêt de Bois-Blanc (Charente)


Cet Anglais, Michael Patrick Mcpartland (surnommé Mitchell), officier de la marine marchande britannique avait été blessé et fait prisonnier. Il était parvenu à s'évader du Val-de-Grâce (hôpital militaire de
 Paris) avec la complicité de la soeur infirmière. Le pauvre diable était bien mal en point ; à 42 ans, il avait l'air d'un vieillard. Il avait eu la mâchoire brisée à coups de crosse et les doigts déformés par un sejour prolongé dans l'eau de l'Océan Atlantique, n'avaient plus s'ongles. Après l'escale à l' « hotel Duruisseau » il est acheminé sur le refuge de Matignon par Blaireau (René Rispard), promu hôte du visiteur.


Nous partons tard pour Matignon, avec un impressionnant matériel de cuisine. Il fait très froid et c'est en sueur que nous arrivons enfin au milieu des bois à notre domicile où une flambée egaieun peula pièce sombre meublée de deux lits. Dans le logement contigu habite un pauvre vieux dont la femme, complètement folle, suffit à rompre la monotonie du secteur. Parfois en pleine nuit, elle se met à taper sur ma porte avec un marteau et à chanter à tue-tête au grand effroi de Mitchell. »


« Le soir de Noël, Mitchell étant mal en point j'ai (écrit René Rispard) fait prévenir le Dr Bigois, Résistant expulsé de la Rochelle, demeurant à Sers. Il est venu en vélo au « Ranch » , c'est le nom que nous avons donné à notre refuge. Ce soir-là nous avons fait un bon réveillon, grâce aux talents culinaires du Batteur. Mitchell, dont l'indisposition était due surtout aux trop grandes libations de la journée, fit lui aussi honneur au menu pendant que la radio nous dispensait des flots de musique.


Soudain on entend un discours en Anglais. Mitchell se dresse au garde à vous.

« Qu'y a-t-il Mitchell ? »
Il nous fait signe de nous lever :
« Le King message Christmas, Britanniques troupes. »
Il ne se remet à table que lorsque le roi a terminé son discours.