Un grand merci à Philippe Ciraud-Lanoue pour avoir partager ces photos et le discours de la cérémonie de la Libération de Saintes.
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les représentants des corps constitués,
Mesdames et Messieurs les Présidents d’associations,
Mesdames et Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames, Messieurs,
En tant que secrétaire et porte-drapeau de l’association Brigade RAC, fils d’un soldat de la Brigade et en présence de Michèle, fille du Colonel RAC et de sa fille Justine, je voudrais, à l’occasion de la commémoration les combats du 4 septembre 1944, vous lire un extrait des Mémoires de Guerre du Lieutenant Philippe Tenant de la Tour, alias Marie-Antoinette, officier de renseignements et de liaison du 3 ème Bataillon de la Brigade RAC, Bataillon Violette.
– LA BATAILLE DE SAINTES – 4 SEPTEMBRE 1944
Le 4 septembre au petit matin, j’embarque les deux sections de la 1Oème compagnie et son capitaine, Ferrand. Je les accompagne dans ma traction, et nous arrivons à 6 heures à Saintes. J’assigne à Ferrand sa mission: mettre un groupe sur chacun des axes routiers aboutissant à Saintes de Rochefort, Royan et Bordeaux. Il mettra deux groupes pour occuper le pont sur la Charente, l’un côté de la ville et l’autre côté Cognac. Ce dernier avec l’aide du Groupe Papillon qui a des explosifs, devra miner le pont.
Tout est en place; ma traction étant tombée en panne, je la mets dans un garage pour réparation. Elle me fera cruellement défaut au cours de la journée. Puis je renouvelle à la poste les consignes de la veille. Je vérifie les positions des unités en particulier le groupe Orliac qui est sur la route de Royan un peu après la maison de retraite. Il a disposé un fusil mitrailleur en avant à la hauteur de l’ancienne ferme Douillard. Si les Allemands se présentent, il doit le signaler par trois petites rafales, car d’où il est, il voit une assez grande portion de la route de Royan. En redescendant vers la ville, on me hèle d’une fenêtre de la Poste
- êtes-vous un responsable?
- Oui je suis le responsable !
- Eh bien les Allemands viennent de dépasser Pisany ; il y a une
douzaine de camions et même un canon!
Je lui demande de téléphoner à Cognac à l’hôtel François Ier et d’avertir le commandant Violette de faire venir le maximum de renfort, de la part du Lieutenant Marie Antoinette. À ce moment là, le lieutenant Chaumette chef du service des transmissions de Rac arrive à ma hauteur; il conduit un véhicule avec un haut-parleur. Je lui demande de parcourir la ville en demandant aux habitants d’enlever les drapeaux français qui ont surgi à maintes fenêtres et surtout de rester chez eux. Je demande à la Gendarmerie, de faire évacuer le champ de foire, plein d’animaux, car c’est la grande foire du 4 Septembre. J’envoie un soldat prévenir les groupes du pont de se préparer à toute éventualité et d’être prêts à le faire sauter, mais seulement sur mon ordre, ou, à défaut, dès qu’ils apercevront des soldats allemands en haut de la Grande Rue. Seules les deux armes automatiques du pont, côté Cognac seront habilitées à tirer pour permettre l’évacuation du groupe côté ville et empêcher, avant l’arrivée des renforts, tout franchissement du fleuve après que le pont aura sauté.
Ceci fait, je cours à perdre haleine vers la route de Royan pour les avertir de l’arrivée imminente des Allemands. Trop tard, ils débouchent au moment même où j’arrive à la hauteur de tir des deux armes automatiques du poste de la Maison de Retraite.
Qu’y a-t-il d’autre pour tenir face à ces Allemands? Ils sont environ 25O venus en une douzaine de camions. Ils venaient pour ravitailler la base de Royan sur le champ de foire de Saintes. Face à eux nous avons le fusil mitrailleur de la ferme Douillard et celui du groupe qui va supporter tout le choc de la première attaque, sur la gauche de la route, avec le tireur : André MARCHAND (19 ans), de THIVIERS; son chargeur, LANXADE (16 ans), de COUSSAC BONNEVAL et son pourvoyeur; MAZIÈRES (18 ans) de PÉRIGUEUX; un peu en arrière il y a un bazooka (lance torpille) servi par HABONNEAU (19 ans), de NANTHEUIL près de THIVIERS, et chargé par CHENU (19 ans), également de THIVIERS. Je cite ces noms car c’est à eux que Saintes doit de n’avoir pas été réoccupée par les Allemands, et je tiens à ce que leurs noms passent à postérité.
De l’autre côté, côté droit, une mitrailleuse lourde Breda, italienne. Je rappelle qu’il y a deux groupes sur la route de Rochefort et un autre plus à gauche du dispositif de la route de Royan, sur celle de Bordeaux. Le chef Orliac qui est allé s’assurer de la disposition des autres groupes n’est pas sur place.
Dès que le premier camion se pointe, il est 9 heures 3O, le F.M. et la mitrailleuse commencent à tirer. Cette dernière s’étant enrayée dès le premier coup, les servants n’ayant pas d’armes appropriées pour se défendre, se retirent. Déjà la colonne allemande est entièrement déployée devant nous. Alors HABONNEAU tire une première torpille qui rebondit sur la chaussée et explose à hauteur du quatrième camion dont le chauffeur a été blessé au visage par le tir de Marchand; il a stoppé, provoquant l’arrêt de la colonne et l’éjection rapide des occupants de l’ensemble des camions. Les non combattants vont se mettre à l’abri dans les fossés et les tranchées du petit champ de manœuvre qui est près de la ferme Douillard,où ils seront pris à partie par les groupes de la route de Rochefort, pendant que le commando de défense s’installe avec une mitrailleuse dans le fossé gauche par rapport à nous. HABONNEAU tire alors la seconde torpille qu’il a mieux centrée. Elle ricoche sur la route, mais s’enfile sous ce quatrième camion. En explosant, elle soulève le camion, qui se met en travers bloquant la colonne qui ne peut plus avancer. Les Allemands tenteront bien de le dégager mais sans succès en raison du tir de notre F.M. Le chef Orliac arrive, pour prendre en main le dispositif.
Je profite de son arrivée pour retourner à la Poste et appeler Violette. Je lui dis la position dramatique de nos troupes. Il me donne l’assurance que les troupes vont partir. En ressortant je fais disparaître les derniers drapeaux français, et je remonte sur la route de Royan. J’apprends qu’Orliac a été blessé à la jambe et qu’il vient d’être évacué. Heureusement la situation semble s’être stabilisée et je reste là jusqu’à l’arrivée de Violette vers 1O heures et demie. Il a foncé à tombeau ouvert dans une Lincoln Zéphyr qui lui a été donnée par une vieille dame patriote de Cognac. Je le mets au courant de la situation. Le Corps Franc qui le suivait, arrive et SPACH prend en main le dispositif. Dégagé de ma responsabilité, j’ai une réaction terrible de peur rétrospective, la plus terrible peur de toute ma campagne militaire. Me rappelant TULLE et ORADOUR, je pense aux représailles qui auraient pu être exercées sur la population que nous ne pouvions pas faire évacuer si nous n’avions pas eu la bienheureuse torpille d’HABONNEAU!
Vers une heure de l’après-midi toutes les troupes de renfort sont arrivées. Quoique moins bien armés, nous sommes plus du triple des Allemands. Pour faire taire la mitrailleuse allemande qui, depuis le matin, tient en respect l’approche vers les camions, SPACH a envoyé trois gars avec les grenades du groupe canon Oerlikon: MATÉO L’Espagnol, JANSSEN le Belge et KRUPACK le Tchèque qui m’avait accompagné lors de mon équipée de BARBEZIEUX. C’est une parfaite réussite. À partir de ce moment les choses tournent complètement à notre avantage. Malgré le mouvement enveloppant des 9ème et 12ème compagnie, les Allemands se défendront jusqu’à la tombée de la nuit. Il faut signaler la tenue du capitaine allemand qui dirige le commando de protection. Prenant une mitrailleuse M.G 42 qu’il colle sur son flanc il tente de neutraliser notre fusil mitrailleur. Blessé une première fois puis une deuxième; il continue son tir début sur la route, et est finalement abattu.
A la nuit, les Allemands profitent de l’obscurité pour faire demi-tour avec les camions qui leur restent. Ils y sont serrés comme dans une boite de sardines. Ayant compris leur mouvement, j’envoie les deux jeunes aspirants Alsaciens: ERAHRT et SCHALK de la 12ème compagnie, avec chacun un F.M. et deux boites chargeurs, se rendre en toute hâte, par les champs, en haut de la côte qui était en face du stand de tir et là arroser à bout portant les camions à leur passage. C’est un carnage!
Malheureusement nous avons brûlé la plupart de nos munitions, et nous ne pourrons donc pas profiter, pour les poursuivre, du choc que cela a provoqué à ROYAN. À ce moment, il n’y avait pas de défense ou de fortifications côté terre, elles étaient vers la mer. Ce qui ne sera plus le cas en avril 1945.
Le coût en hommes, chez nous est de cinq morts et une dizaine de blessés. Parmi les morts il y a Bernard GASTON, dit «METRO» celui de SAINT JORY; et un sergent Algérien: VEYRAT, qui était arrivé deux jours plus tôt à COGNAC.
Du côté Allemand il y a sur place dix-sept morts dont le capitaine ainsi que le chef de la gestapo de ROYAN un dénommé GOERTZ, tué par la torpille. J’ai ramassé sa serviette qui comprenait une liste des noms de personnes à arrêter.
D’après la Résistance de Royan il y aurait eu, y compris les dix-sept restés sur place, 182 tués et blessés.
Le lendemain matin, je retourne sur les lieux des combats pour inspecter les camions. Je repère un canon de 2O mm allemand que je donne à SPACH. Les dix-sept cadavres sont alignés sur le trottoir. Je fais ramasser par PÉRIER les livrets militaires, les portefeuilles et papiers pour les envoyer aux familles quand la guerre sera finie. Puis je les fais déchausser pour récupérer leurs bottes et les donner à nos gars qui marchent avec des pantoufles (oui il y en a!) ou des souliers usés.
Comme je l’ai dit plus haut, nous n’avions plus de munitions en quantité suffisante pour pouvoir poursuivre les Allemands. Mais cette bataille de SAINTES avait provoqué une grande inquiétude aux troupes d’occupation de ROYAN. Ils n’avaient jamais eu l’occasion de tomber sur une défense aussi sévère, au point que, d’après la Résistance de ROYAN, ils ont cru un moment qu’il s’agissait de troupes américaines parachutées dans le coin. L’usage du bazooka, l’intensité des tirs d’armes automatiques, et le fait qu’ils avaient été presque complètement encerclés, ne put leur faire croire qu’il s’agissait de troupes du Maquis.
Aurions-nous vraiment pu libérer ROYAN, en profitant de ce désarroi?
Peut-être, en tenant compte de la reddition de Rochefort huit jours plus tard.
Mais il nous manquait pour cela, en dehors de la pénurie de munitions, l’appui des deux autres bataillons encore dispersés autour d’ANGOULÊME, car les forces ennemies de Royan comprenaient 8 à 9.OOO hommes avec de l’artillerie.
MERCI POUR VOTRE ATTENTION