Rédigé par Alain dans la rubrique Document et livre
Le Cahier - Temoignage d'Andrée Gros-Duruisseau résistante et déportée, édité 2008 par la Centre Départemental de Documentation Pédagogique de la Charente (CDDP). Préface de Jean Lapeyre-Mensignac, responsable du B.C.R.A. - B.O.A. Région B et auteur de Nos combats dans l'ombre (1994) et René Chabasse : Héros de la Résistance (1996).
Le Cahier est le temoignage d'une jeune adolescente et écrit en 1945 à son retour de déportation sur un cahier d'écolier que son père lui a donné, c'était sa thérapie.
Le Cahier est le temoignage d'une jeune adolescente et écrit en 1945 à son retour de déportation sur un cahier d'écolier que son père lui a donné, c'était sa thérapie.
Je peux vous conseiller vivement de procurer cet excellent ouvrage très émouvant et à mon avis parmi les plus beaux sur la Résistance.
Il y a 20 ans en rangeant le grenier familial, elle a retrouvé le journal (les pages étaient jaunis par le temps et rongés par les souris) qu'elle avait écrit à le retour des camps et en 2008 elle autorisé l'editions du CDDP à publier son témoignage.
Avec l'aimable autorisation de l'éditeur CDDP et de l'auteure Andrée Gros-Duruisseau trouvez ci-dessous quelques extraits du livre.
Les réquisitions
Les Allemands passaient régulièrement demander du ravitaillement et invariablement, maman leur répondait : « Nous n'avons rien ». Les produits de la ferme étaient surveillés, mais on arrivait à camoufler le plus possible. Ainsi, plus de poules à picorer dans la cour : nous avions enfermé les volailles dans un verger, derrière la ferme. Malheureusement, il est difficile de faire taire poules et canards et d'empêcher les coqs de chanter ! Je me souviens de ce jour où nous écoutons les émissions de Londres avec maman... La fenêtre est ouverte car il fait beau. Du bruit au dehors attire notre attention... Ce sont des Allemands qui viennent réquisitionner. Nous sommes tétanisées car nous savons parfaitement qu'il est interdit d'écouter les émissions d'Angleterre à la TSF (d'ailleurs, qu'est-ce qui n'est pas interdit !) Que va-t-il nous arriver ? En fait, passant près de la ferme, ils ont été attirées par le « cancanement » d'un canard. Ils sont tellement occupés à le récupérer qu'ils ne semblent pas avoir entendu autre chose ! Quand nous les voyons repartir depuis le fond de notre cuisine, avec le malheureux volatile qui proteste vigoureusement, nous sommes bien soulagées !
Les parachutages
Alcide et Augustine, les parents d'Andrée montrant l'ancienne cache d'armes dans leur bois aux Forêts |
Le terrain le plus proche se trouvait sur les Chaumes du Luquet, pas loin de notre maison, mais d'autres étaient plus éloignés.
André Chabanne (chef du maquis Bir'Hacheim, basé dans la forêt de Chasseneuil) était venu repérer les caches d'armes. Il y en avait trois : dans une sablière, dans une carrière sur la commune de Garat, dans une fossé au milieu d'un bois. Il n'était pas d'accord, jugeant l'endroit dangereux, trop près de la ferme... Hélas pour lui, la fosse était si bien camouflée qu'il ne l'a pas aperçue et qu'il s'est retrouvé au fond, heureusement sans dommage. Cet épisode a laissé à mon père un souvenir si comique qu'à chaque rencontre avec André, après la guerre, il ne manquait pas de lui rappeler cette chute inattendue.
Arrêtée par la Gestapo le mercredi 15 mars 1944 à son domicile, aux Forêts près de Bouex, Andrée est internée à la maison d'arrêt d'Angoulême jusqu'au 20 mai. Malgré tous les interrogatoires subis, elle ne livre aucun renseignement susceptible de compromettre la sécurité de sa famille ou ses compagnes.
Puis en mai, commence alors le terrible parcours de la déportation. Fort de Romainville jusqu'au 6 juin, camp disciplinaire de Neue-Brem situé entre Sarrebruck et Forbach, puis Ravensbruck sous la matricule de 43069, suivi du kommando de Buchenwald, jusqu'au 14 avril 1945.
Travailler pour la guerre !
Nous sommes dans un Kommando et nous devons travailler pour l'Allemagne. Peut-on concevoir cela !
Certaines d'entre nous tentent d'être positives : « Ils ne veulent pas nous tuer, puisqu'ils vont nous faire travailler ! » (L'usine HASAG produit des munitions, notamment obus de DCA et Panzerfauste).
Le départ au travail s'effectue par rangées de cinq et par groupes d'affectation. Je suis désignée au déblaiement car les usines qui existaient à cet endroit ont été démolies par les bombardements. Munie d'une lourde pioche, je dois arracher des planches dans les ruines.
Nous nous relayons pour les transporter près d'un nouveau bâtiment en construction. Des lattes de bois servent de pont sur d'énormes trous d'obus. Comme il pleut beaucoup, ces trous se remplissent d'eau et je suis terrorisée : ces planches sont rendues très glissantes par l'eau et la boue ; mes sabots, bien trop grands, ne tiennent pas à mes pieds et je trébuche sans cesse. Je me dis : « Si je glisse, je vais tomber et me noyer au fond de ce trou ! »
Certaines d'entre nous tentent d'être positives : « Ils ne veulent pas nous tuer, puisqu'ils vont nous faire travailler ! » (L'usine HASAG produit des munitions, notamment obus de DCA et Panzerfauste).
Le départ au travail s'effectue par rangées de cinq et par groupes d'affectation. Je suis désignée au déblaiement car les usines qui existaient à cet endroit ont été démolies par les bombardements. Munie d'une lourde pioche, je dois arracher des planches dans les ruines.
C'est vraiment très pénible, d'autant plus que j'ai toujours eu peur de l'eau. Je sais parfaitement que si je tombe, personne ne viendra me chercher dans cette eau fangeuse, je serai perdue. Autour de moi, certaines de mes compagnes plaisantent : « Tant mieux, il pleut : cela va nous faire pousser les cheveux ! ».
Apres la libération des camps en avril 1945 c'est le chemin long pour rejoindre la France. Dans la nuit du 31 mai au 1 juin Andrée prend un train pour Angoulême.
Extrait du chapitre Le retour
Nous approchons d'Angoulême. Toutes ces lumières sur le plateau. Je ne me sens pas le courage de rentrer à la maison, si toutefois elle est encore debout ! Le sinistre Alfred (Alfred Winnewisser « Monsieur Alfred ») m'avait bien avertie qu'il la ferait brûler puisque je ne voulais parler ! Sa voix résonne dans ma tête : « Votre maison ne sera plus qu'un amas de cendres et de ruines ! »...
Nous sommes très près de la gare. Un déporté me tape sur l'épaule et me dit : « Votre Angoulême, Andrée ! Mais, ma parole, vous êtes plus triste que si on vous emmenait à la
guillotine ! Auriez-vous honte de renter chez vous ? ».
Mme Gros-Duruisseau en 2008 avec un fragment du cahier |
Cette simple phrase a le don de me faire réagir. Ah non, je n'ai pas honte et je vais pouvoir leur dire que je n'ai parlé et leur montrer que j'ai tenu le coup !
Cette fois le train s'arrête et il m'est difficile de mettre un pied devant l'autre ! Enfin, je prends m'a couverture et mon petit baluchon, on me pousse. En bas, personne ne m'attend et je me sens bien seule, un peu comme un orpheline. Soudain, mon cousin se précipite vers moi et me dit : « Ta maman est là, ta soeur ». Je n'arrive pas à réaliser. C'est pourtant un moment inoubliable : j'aperçois ma mère, en larmes, qui court vers moi mais je remarque aussitôt qu'elle porte un grand voile noir sur son chapeau... Ma soeur... Je suis serrée, tirée, d'un côté, de l'autre. Elles pleurent, elles rient.
Le 21 mai 1967, Jacques Nancy ancien chef de la fameuse Section Spéciale de Sabotage a remis la Légion d'Honneur à Andrée Gros-Duruisseau.
Le 11 novembre 2007 elle a reçu les insignes de commandeur de la Légion d'Honneur, élevée au grade de grand officier en 2012. Egalement elle a recu le croix de guerre 39-45 et la médaille de la Résistance.
Le 11 novembre 2007 elle a reçu les insignes de commandeur de la Légion d'Honneur, élevée au grade de grand officier en 2012. Egalement elle a recu le croix de guerre 39-45 et la médaille de la Résistance.
Aujourd'hui elle est la présidente de l'Association des Déportés, Internés et Familles et Disparus de la Charente et la Vice-Présidente de la Section Spéciale de Sabotage du Capitaine Jacques Nancy et souvent presente son témoignage aux élèves.
Le livre fait 240 pages et il y a nombreuses photos et copies de documents de l'époque.
Il est en vente sur le site internet du CDDP de la Charente (lien) au prix de 19 euros avec le frais de port.
A lire également :
Une belle famille... les Duruisseau - Article de 1946 publié par Résistance des Charentes (lien)
L'arrestation d'Andrée Duruisseau le 15 mars 1944 (lien)
Une belle famille de la Résistance : Les Duruisseau (lien) (en anglais)
Témoignage vidéo d'Andrée Gros-Duruisseau du site internet Paroles de Résistants :