Chaumes du Luquet (16) - Parachutage du 11/12 février 1944

Rédigé par Alan dans la rubrique Section Spéciale de Sabotage


Parachutage des chaumes du Luquet - Nuit du 11 au 12 février 1944

La nuit est glacée, le sol couvert de gelée blanche et la lune brillante.

Histoire tiré de l'ouvrage Notre participation pour une juste mémoire de la Résistance en Charente 194O - 1944. Documentation, récits et références de Jean Lapeyre-Mensignac, Andrée Duruisseau (Epouse Gros), Edmond Duruisseau, Pierre Barrère, Guy Margareti, Charles Franc et Jacques Nancy.


Parachutage de la lune du 11/12 février 1944 sur les chaumes du Luquet, entre la ferme Duruisseau et les grottes du Quéroy (Charente)

Nom du terrain : « Sapin » pour l'équipe de réception
                 « Pintade » pour la RAF
Message : Les petites deviennent grosses
Code d'identification : L 24 containers dont 1 perdu

Responsable : Edmond Duruisseau   (Le Batteur)
Equipiers :   Guy Berger   (Pasteur)
              René Rispard   (Blaireau)
              Alcide Duruisseau
              Pierre Chabasse
              Raymond Lac   (Rivière)
              Alfred Barateau   (Albert)
              Beaubreuil   (la Gare)
              René Poinet
              Périllau (réfractaire chez Poinet)
              Robert et Louis Rocheteau

« Ayant confondu la lettre avec l'équipe du Pointu (Charles Franc) vers Ronfleville, le parachutage est attendu depuis trois nuits ... Les avions survolent le terrain mais ne laissent rien tomber ...»

«... Le changement de lettre est décidé et les messages « Les petites deviennent grosses » « Le chou est meilleur » étant passés une fois de plus, l'équipe, dirigée par le Batteur, se rend pour la quatrième nuit de suite sur les chaumes du Luquet.

Pendant ce même temps, Augustine et Andrèe Duruisseau font le guet sur la route des Forêts.

« Le Batteur » qui dirige les opérations choisit le bon emplacement du terrain ... Les repères pour placer les lampes rouges sont vite calculés et nous attendons blottis dans le froid ... des vrombissements nous ont alertés, sans résultat ... un ronflement ... le Batteur émet la lettre ... l'avion passe et disparaît ... le Batteur répète le signal ... un autre avion volant bas débouche au-dessus de la forêt, arrive droit sur nous, on distingue nettement tous les détails de l'appareil ... le Batteur le suit avec son phare, un signal vert de l'avion clignote ... 23 containers atterrissent très prés de nous ; Il n'est pas minuit. Tout le monde travaille avec courage pour rassembler tout le matériel près d'un chemin. Le père Duruisseau (Alcide Duruisseau) et Albert attèlent les chevaux à deux charrettes. Quel travail pour mener tout le matériel jusqu'à la sape creusée par le père Duruisseau, elle ne peut contenir que 17 containers (environ 3 tonnes) le reste sera hissé sous les genevriers.

Enfin, nous rentrons à la ferme Duruisseau où nous dévorons à belles dents un casse-croûte copieux.

« Jean-Louis » (René Chabasse) annonce qu'il manque un container. Malgré la fatigue, il faut faire des recherches très difficiles jusqu'au matin, au milieu d'épais taillis, des haies profondes et des champs d'ajoncs. Le parachute reste introuvable. Container et parachute sont tombés trop loin. Les Allemands ayant été prévenus ont tout récupéré (Le container contenait une cellule de ravitaillement destinée à l'équipe de réception ...)

« Cela n'est pas pour nous tranquilliser ajoute le père Duruisseau : l'ennemi peut facilement déduire qu'il y a eu un parachutage, suivre les traces de roues et tout découvrir, il faut donc tout transporter ailleurs ...»

Ce transfert se fera, avec mille précautions, dans un bois de la ferme entouré d'un fosse creusé plus profond sur 8 mètres par le père Duruisseau.

Containers et parachutes sont enfin en sécurité.



Alcide et Augustine Duruisseau montrant l'ancienne cache d'armes aux Forêts dans leur bois, pour camoufler les containers parachutés.


Photo de la fosse prise pendant l'un de nos visites à la ferme des Duruisseau en 2O16.

Dans son ouvrage Le Cahier - Témoignage d'Andrée Gros-Duruisseau résistante et déportée, l'auteur parle de cette nuit très importante à la Résistance charentaise :

Ainsi, ce 11 février 1944...

L'une de nos distractions d'hiver consistait à « énoiser », à la veillée, avec les voisins. Ce soir là, donc, nous étions chez George Neuville, avec ma mère et mon père (Augustine et Alcide Duruisseau) ; nous étions inquiets car nous attendions un message : « Les petites deviennent grosses ». Mon frère (Edmond Duruisseau) et son équipe étaient sur le terrain et nous, nous faisions le gué depuis trois soirs, en vain... En devisant avec nos voisins, nous n'étions pas très tranquilles ! Et, si c'était pour ce soir ? Comment faire pour avoir des nouvelles ? Alors, mine de rien, nous avançons « Pourquoi n'écouterions-nous pas les messages à la TSF ? C'est amusant...». Mais nos compagnons ne semblent pas d'accord, ils trouvent que c'est dangereux et ils ne veulent pas prendre de risques. Pourtant quelque chose nous dit qu'il faut insister et le poste est enfin allumé. Soudain, ces mots éclatent à nos oreilles : « Les petites deviennent grosses... Les petites deviennent grosses...». Est-ce enfin pour ce soir ?

Plus tard dans la soirée, un voisin entre et déclare : « Je viens d'entendre un avion qui doit sans doute avoir des ennuis car il passe et repasse »... Nous échangeons un regard : nous avons compris. C'est enfin le moment prévu pour le parachutage ! Mais comment quitter nos voisins ? La soirée est loin d'être terminée. Les haricots que nos devons déguster avant de nous quitter finissent de cuire dans la cheminée. Les haricots ? Alors, soudain, je me mets à me plaindre : je ne peux plus rester ! C'est intenable ! Et tant pis si je passe pour une capricieuse ! Ma mère et mon père, bien sûr, ne peuvent pas me laisser dans cet état... Il faut rentrer à la maison ! Nous prenons congé et nous nous hâtons vers la ferme car nous savons qu'il y a besoin de tous les bras et de la participation de toute la famille pour accueillir et faire le guet ! Et, de fait, c'est l'affolement car la livraison d'armes est beaucoup plus importante que ce que nous attendions. Un gros travail en perspective et le temps qui presse...