Une belle famille... les Duruisseau - Article de 1946 publié par Résistance des Charentes

Rédigé par Alan dans la rubrique Section Spéciale de Sabotage

Un grand merci à Gérard Duruisseaud pour avoir partager cet article de l'hebdomadaire Résistance des Charentes publié le 16 décembre 1945 et écrit par Marc Leproux dit le Tonton de la Section Spéciale de Sabotage (S.S.S.) de Jacques Nancy. 





Nos résistants 
Une belle famille... les Duruisseau

Une nuit de l'hiver 43 un groupe de maquisards roule sur la petite route qui mène à Bouëx. En passant devant l'unique demeure qui borde la route, le chef montre un filet de lumière filtrant à travers les volets et dit à ses hommes : Ici c'est la maison du bon Dieu. C'est à dire la maison où l'on est prêt à tout pour secourir les maquisards, ceux qui nous délivreront des Boches.

Déjà la maison Duruisseau, sise aux Forêts dans la commune de Bouëx était célèbre dans les milieux résistants et elle méritait bien cette célébrité car pas un dans cette demeure qui n'ait fait son devoir avec la simplicité, le courage qui caractérise souvent l'âme paysanne française.

Cette maison modeste campée au bord de la route mérite d'entrer dans l'histoire de la résistance en Charente. Ce n'est pas un article qu'il faudrait lui consacrer : un gros volume ne suffirait pas à relater tout ce que ses murs ont pu voir ou entendre.

Dès le début de l'occupation, le pionnier de la résistance charentaise, René Chabasse, dont un prochain article retracera la vie et la mort héroïques, trouve chez les Duruisseau des amis sûrs à qui il peut se fier et qui n'hésiteront pas à endosser avec lui les plus lourdes responsabilités et à encourir les plus grands risques.

Fausse carte d'identité d'Edmond
Duruisseau,au nom d'Edouard Dufour

Du reste le fils, Edmond, ouvrier à la fonderie de Ruelle, remarquable par son habileté manuelle et son courage sera un auxiliaire précieux. Dès février 1943, Edmond Duruisseau est désigné pour partir en Allemagne ; non seulement  il n'obéit pas à cet ordre mais il considère comme son devoir de faire de la propagande pour retenir ses camarades. Cela ne va pas sans risque dans un milieu où l'on ne comprend pas toujours ce qu'il y avait de grand dans l'esprit « Résistance »; ou l'on voit des ouvriers se présenter comme volontaires pour démonter les machines de leurs ateliers afin que les Allemands puissent les emmener chez eux. Les malheureux détruisent ainsi de leurs propres mains leur gagne pain et ils n'ont même pas l'excuse de la contrainte. (Il est vrai qu'ils seront plus tard réembauchés des premiers à la fonderie). Edmond Duruisseau, lui, est écoeuré par tant de veulerie. Et le soir qui est fixé pour son épart il pousse l'audace jusqu'à se rendre sur le quai de la gare pour essayer de retenir ses camarades.

Un seul se décide à le suivre ; avec lui il gagne les bois ; il a pourtant femme et enfant à nourrir et son budget est maigre. Qu'importe ! le devoir avant tout ; et pour subvenir aux besoins des siens il exécute de menus travaux pour les paysans des alentours et cisèle des bagues qu'il écoule difficilement. Sous un aspect timide, effacé, Edmond Duruisseau cache une énergie de fer et celui qui plonge son regard dans le fond du sien l'a bien vite compris.

René Chabasse, l'a compris ; aussi dès qu'il organise la réception de parachutages il se ménage le concours d'Edmond qui sera un des premiers membre du B.T.A. (Bureau des Opérations Aériennes) et qui désormais portera le nom de « Batteur »Bientôt, du reste, toute une famille participera à la réussite de ces opérations.

René Chabasse
Tout de suite René Chabasse (le Parrain) et le Batteur se mettent en quête de cachettes pour dissimuler leurs parachutages ; ils comprennent vite qu'il leur est nécessaire de s'adjoindre le père du Batteur, c'est-à-dire Alcide Duruisseau. Ce dernier sous une modestie exagérée cache toute la finesse des vieux paysans de chez nous. C'est un travailleur infatigable et qui sait manier la terre. Bientôt il deviendra un artiste en camouflage. Chez lui c'est une allée venue continuelle de camions dont il faudra dissimuler la trace. Containers ; parachutes encombrent tous les coins de la demeure. Mais le père Duruisseau sent que cela ne peut continuer ainsi ou qu'il en résultera une catastrophe. Il se met donc en devoir de préparer pour les nouveaux parachutages une autre cachette dans un bois qui lui appartient.

Il arrache buissons et ronces dont il fait « un gros brancher », ensuite il creuse en dessous une petite cave. Le jour, Blaireau (Rispard)  Pasteur (Berger) et son fils y travaillent ; la nuit c'est le père Duruisseau, son domestique et un réfractaire (tous ces gens traqués par la gestapo se sont réfugiés chez lui). Quand le trou mesure deux mètres de profondeur il est prolongé en dessous des racines ; la terre sortie à l'aide d'un seau est étendue sur le sol et bien aplanie ; un peu avant le jour elle est recouverte de terre un peu plus noire et de feuilles ; le brancher est replacé dessus et comme les buissons ont été arrachés la terre paraît remuée partout de la même façon. Et c'est ainsi qu'une quantité d'armes est entassée suffisante pour armer plusieurs maquis. Le chef de l'un d'eux étant venu s'approvisionner est bien obligé de reconnaître la perfection du camouflage car il se révèle inapte à déceler le trou jusqu'à ce qu'il soit lui-même tombé au fond à la grande joie des assistants et du père Duruisseau qui rit encore en en parlant.

La ferme de la famille Duruisseau, aux Forêts commune de Bouëx
Il ne nous est possible d'étudier ici en détail toute l'activité de la famille Duruisseau. Bornons nous à signaler que cette maison après avoir servi de refuge à ceux qui voulaient franchir la ligne de démarcation, à ceux qui étaient traqués par la gestapo abrita dans ses murs : réfractaires, maquisards et aviateurs alliés en nombre considérable. Presque chaque jour quelqu'un y est reçu et toujours avec le même coeur, ce coeur qui sait accueillir d'une manière si touchante dans la famille Duruisseau. Tous trouvent là le vivre et le couvert et soulignons-le, sans la moindre rétribution. Bien des gens sont passés dans cette maison ; la seule fortune qu'ils y aient laissée c'est le trésor de leur reconnaissance et de leur amitié.

C'est période d'activité intense est coupée par une épreuve tragique. Le 15 mars, la plus jeune soeur de Séraphin, est arrêtée par la gestapo. Sur la dénonciation de l'ignoble Brissaud, la maison est perquisitionnée de fond en comble les habitants sont soumis aux questions les plus tortueuses. Personne ne parle. Le père Duruisseau trouve moyen de fausser compagnie à la gestapo pour courir à l'équipe de Jacques car c'est elle qui est recherchée. L'équipe déménage et le père Duruisseau à son tour doit prendre les bois.


Les Duruisseau : de gauche à droite : Denise, Edith, Alcide, Augustine, Andrée, Edmond. 
Les enfants d'Edith et Fernand : Roland et Monique
(Photo prise après la guerre)

Pendant ce temps la gestapo emmène la jeune Andrée qui n'a pas 18 ans. D'apparence frêle cette toute jeune fille fera preuve d'un cran admirable et d'un à propos que bien des hommes pourraient lui envier. Emmenée à la prison d'Angoulême elle résiste à toutes les menaces et à tous les tourments ; Elle ne laisse percer aucun des nombreux secrets qu'elle détient. Elle force même l'admiration du grand Alfred qui déclare « c'est une excellente petite française et si la France en avait eu beaucoup de cette trempe elle n'aurait pas connu le désastre de 194O ».

Ce satifecit élogieux ne lui épargne pas la déportation dans les camps de la mort lente ; Elle parti le même jour que Gérard Ferrand un des anciens du groupe qu'elle n'a pas brûlé et qui lui doit la vie. Sa volonté inébranlable lui donna la force de surmonter les pires épreuves et le 2 juin 1945 les siens entourés de leurs si nombreux amis ont la joie de fêter son retour.

Il est impossible dans ces quelques lignes de faire ressortir le rôle magnifique de cette famille qui mérite d'être rangée parmi les plus belles familles françaises de la Résistance. Eux-mêmes s'ils me lisent seront étonnés de se voir qualifier ainsi. La modestie, la simplicité de leurs sentiments les porte à considérer qu'ils n'ont fait que leur devoir.

En ce qui nous concerne nous nous permettons de leur faire remarquer, que nous connaissons bien peu de Français ayant autant de titres qu'eux à la reconnaissance du pays. Il est vrai que les Duruisseau ne se souviennent plus de ce passé, récent pourtant, comme d'un beau conte de fées qui réjouit leur pensée le soir au coin du feu. Loin d'eux l'idée d'en tirer la moindre vanité. C'est tout juste s'ils marquent une légère amertume quand un de ceux qui furent des collaborateurs prend le droit de dénigrer devant eux et la Résistance « et les bandits qui y participèrent ».


Au camp de Barbezières (Charente) juin 1944       (photo - Séraphin)
Partant de la gauche debout :
Séraphin / Batteur (Edmond Duruisseau), Emile (Elie Dodart), Jacques Nancy (capitaine Jacques), Jacky (Jacques Dussart), Marc, René (Denis Olivain),
En bas, accroupi en partant de la gauche : 
Blaireau (René Rispard), Clovis (Franc Charles), Antoine (Guy Berger)

Amis Duruisseau n'en soyez pas trop chagrins ; si parfois le découragement vous effleure revivez en pensée les beaux souvenirs que beaucoup vous envient ; songez à ces vrais résistants qui sacrifiaient tout pour leur pays, que vous avez admirablement secondés et qui vous ont aimés. Quand une famille comme la vôtre a su gagner leurs coeurs, quand elle a conquis la confiance et l'amitié d'un chef comme le capitaine Jacques au point d'être considérée par lui comme une seconde famille, n'est-ce pas là la plus belle des récompenses ? Et quelle joie de songer que tous ceux que vous avez aidés dans la lutte clandestine reviendront de temps en temps frapper à votre porte, s'installer à votre coin de feu, et comme autrefois s'asseoir à votre table pour partager avec vous le morceau de pain de l'amitié, en évoquant la merveilleuse épopée.

Il faudra bien qu'un jour, le pays et l'histoire reconnaissant votre dévouement et vos sacrifices.

                          LE TONTON DES S.S.S.


Cet article fait partie d'une belle collection au petit musée dédié à la S.S.S. de Jacques Nancy, groupe crée à la ferme Duruisseau aux Forets prés de Bouëen Février 1944. 


Plaque apposée sur la ferme des Forêts, inaugurée le 21 mai 1967, jour où Jacques Nancy a remis la Légion d'Honneur à Andrée Gros-Duruisseau
          La ferme aux Forêts en 2014        
Gérard Duruisseaud, le fils d'Edmond Duruisseau fait visiter la collection familiale d'objets et de documents d'époque aux écoliers et aux groupes. Contact : gerard.duruisseaud@orange.fr  (lien)

Alcide et Augustine Duruisseau
montrant l'ancienne cache d'armes aux Forêts
Photo de la fosse prise pendant l'un de nos visites
à la ferme des Duruisseau en 2O16

Le Cahier, dans lequel est recueilli le témoignage d'Andrée Gros-Duruisseau est dédicace « En mémoire de celles qui ne sont jamais revenues, pour que vive leur souvenir ». L'auteure a souvent fait des interventions dans les collèges et lycées de la région pour répondre aux questions des enfants et des adolescents (lien).


A lire également :

Naissance de la Section Spéciale de Sabotage de Jacques Nancy (lien)
L'arrestation d'Andrée Duruisseau le 15 mars 1944 (lien)
Retour des camps de concentration d'Andrée Duruisseau le 1er juin 1945 (lien)
Monument de la Section Spéciale de Sabotage au Chêne Vert commune de Grassac (16) (lien)
Nous, les Terroristes - Journal de la Section Spéciale de Sabotage par Marc Leproux (lien)
Le Cahier - Témoignage d'Andrée Gros-Duruisseau - résistante et deportée (lien)
Film sur Jacques Nancy : Les Saboteurs de l'Ombre et de la Lumière (lien)
Monument aux morts de Bouëx (lien)