Mémoires de Guerre de Louis Fourgeaud de Vitrac-Saint-Vincent (Charente)

Mémoires de Guerre

de M. Louis Fourgeaud  (1922-2O1O)
de Vitrac-Saint-Vincent  (Charente),
sergent des Forces aériennes Françaises  (1943-45)


présentées Jean-Pierre Faure



Le sergent mitrailleur aérien Louis Fourgeaud, 23 ans en 1945

2O15

A la mémoire des équipages des bombardiers français et alliés
de la 2ème Guerre mondiale    -1939-1945 -


Sommaire

PRESENTATION

Première partie        
EVASION   PAR  L’ESPAGNE     (1943)

Deuxième partie          
AVIATEUR  FRANÇAIS  AUX  ETATS –UNIS    (1944-1945)

CONCLUSION

Présentation

Il y a soixante dix ans, le 8 mai 1945, l’Allemagne nazie capitulait après plus de cinq années de combats, de destructions, de deuils, d’atrocités et des millions de morts. L’Europe sortait meurtrie et ruinée de cet effroyable cataclysme, un quart de siècle après celui de 1914-18.

Seuls, les plus âgés de nos contemporains peuvent encore témoigner de ce que fut, dans leur jeunesse, ces temps d’épreuves et des choix qu’ils prirent alors. Peu à peu, avec la disparition des derniers acteurs et témoins de la défaite de 194O, de l’occupation nazie, de la Résistance et de la Libération de la France, la période de la Deuxième Guerre mondiale, comme celle de 14-18, entre dans l’Histoire, une histoire dont seules les archives conservent la trace.

Mes amis de l’Association Bir Hachem à Chasseneuil qui fidèlement regroupe les derniers membres du Maquis Chabanne en Charente et veille à la conservation de sa mémoire à la Maison de la Résistance de la ville m’ont signalé le témoignage de Louis Fourgeaud, recueilli il y a une vingtaine d’années par le Musée de la Résistance et de la Déportation d’Angoulême. Il apparaît encore sur le site internet de cet établissement. Après la fermeture du musée en 2OO7, son fond documentaire a été acquis par la ville d’Angoulême qui l’a déposé aux Archives départementale de la Charente.

J’ai été immédiatement frappé par la qualité et la précision de ce texte qui, sobrement, raconte le parcours d’un jeune homme, apprenti cordonnier, qui voit son univers s’écrouler avec l’arrivée des Allemands en Charente. Appelé en 1942 aux Chantiers de Jeunesse, il subit l’humiliation de l’invasion allemande venue le dévaliser. Refusant au printemps 1943 le travail obligatoire, le STO, en Allemagne, il décide de rejoindre la France combattante du général de Gaulle en passant par l’Espagne, évasion qu’il réussit. On en lira les surprenantes péripéties qui, au passage, éclairent un aspect très peu connu de la politique du général Franco en 1943.

Arrivé au Maroc, incorporé dans l’Armée de l’Air en cours de reconstitution, volontaire pour le personnel navigant, il décrit à la fois sa découverte des Etats-Unis et l’organisation industrielle d’une force aérienne qui est déjà en 1944 la première du monde. Ce qu’il dit en particulier sur la formation des personnels des forces aériennes aux Etats-Unis, qu’il a suivie pendant dix mois, intéressera aussi bien les historiens de l’Armée de l’Air que ceux de l’US Air Force.

J’ai vérifié, commenté et illustré ce texte en y apportant quelques précisions de lieux, de noms et de chiffres. Mes commentaires portent sur des faits dont Louis Fourgeaud ne pouvait pas à l’époque  avoir connaissance; ils apparaissent en italique. Je remercie particulièrement Madame Odette Fourgeaud, sa veuve, qui m’a autorisé à présenter les mémoires de guerre de son mari.

J’espère que le lecteur trouvera à cette lecture le même intérêt que j’y ai pris à retracer le parcours exemplaire de Louis Fourgeaud.

                                             Jean-Pierre Faure  Général de brigade (cr)



Rappel chronologique

Novembre 1942
Le 8 : Débarquement allié en Afrique du Nord
Le 1O : Invasion de la zone non-occupée
Le 28 : Dissolution de l’Armée de l’Armistice

Février 1943
Loi de Laval créant le Service du Travail obligatoire, S.T.O.
Défaites allemandes à Stalingrad et en Afrique du Nord

Mars - Avril 1943
Regroupement en zones refuge des premiers réfractaires au S.T.O. et passage vers l’Espagne
Premiers parachutages d’armes britanniques en zone occupée

Eté 1943 à mai 1945
Les Etats-Unis décident de rééquiper et d’instruire l’Armée de l’Air

Témoignage de Louis Fourgeaud

I   EVASION  PAR  L’ESPAGNE  (1943)

Je suis né le 22 août 1922 à Vitrac St-Vincent en Charente. Mon père était cordonnier, ma mère  cultivatrice et j’avais une sœur de huit ans de moins que moi. Je devais quitter l’école à 14 ans pour devenir apprenti cordonnier auprès de mon père.

Mon père avait fait la guerre de 1914. Il y avait été fait prisonnier pendant deux ans, interné au camp de Limbourg près d’Aix-la-Chapelle. Ce n’est pas véritablement à l’école que ma haine des Allemands s’est cultivée en moi. C’est surtout au sein même de ma famille. Mon père avait beaucoup souffert durant cette première période du 2Oème siècle. J’apprenais la déclaration de guerre par le tocsin du village. J’ai eu peur ! Je savais ce qui pouvait m’attendre. J’allais avoir 18 ans. Mon père était rouge de colère. Il ne comprenait pas que 2O ans après, le conflit réapparaisse. Il fut mobilisé de nouveau. Mais seulement pour emmener les chevaux de Vitrac à Angoulême en conséquence des futurs départs, je l’aidais, naturellement !

La défaite en 194O
Et puis la bataille commença ! La défaite des troupes françaises en juin 194O était très dure à accepter. C’était impensable ! On nous avait menti ! On nous avait dit haut et fort que nous gagnerions la guerre !  Dans un même temps qui nous dépassait, Pétain est arrivé au pouvoir, j’étais sans enthousiasme ! Le 20 juin les Allemands arrivaient en side-cars, ils ne sont pas restés longtemps, faisant vite demi-tour, car le 22 juin, l’Armistice était signé. Et puis, c’est à cette même période que j’ai entendu parler du général de Gaulle et de son Appel à la Résistance. J’étais un jeune gosse et donc sans opinion. Mais cet homme nous donnait naturellement le sentiment qu’il fallait avoir confiance en lui.

Mon village, Vitrac, se trouvait en zone non-occupée, près de la ligne de démarcation. Tout allait à peu près bien, jusqu’au mois de juillet 1942, nous continuions à vivre, sans faire attention véritablement à la guerre et à ses conséquences, j’étais un enfant qui ne demandait qu’à vivre normalement. Et puis, je fus désigné par le gouvernement pour partir aux chantiers de jeunesse à Tronçais dans l’Allier. (Service civique de neuf mois dans des camps agricoles ou forestiers) Je l’ai très mal pris. Je me faisais tête dure, je fus donc mal vu ! Je restais dans ces chantiers jusqu’au mois de février 1943. Je me souviens avoir vu les Allemands investir le 11 novembre 1942 notre camp, pour nous rafler nos couvertures, nous dépouiller de nos blousons de cuir et autres affaires chaudes. La bataille de Stalingrad s’annonçait laborieuse. Nous n’avons rien pu faire. Cela nous mettait hors de nous, c’était nos affaires personnelles ! Ils avaient même fait mains basses sur les Chantiers de Jeunesse. Ce n’était pas croyable ! Même les Français de Vichy étaient soumis aux restrictions intempestives !

Résistance
Je ne suis pas resté longtemps chez mes parents. Fin février 1943, je recevais une convocation pour le Service du Travail Obligatoire, le S.T.O. Je devais aller passer une visite médicale à Montemboeuf le 3 mars 1943. Bien évidemment, tous les requis étaient bons pour partir. C’était ma toute première convocation. Je devais partir le 5 mai pour Linz en Autriche, travailler dans l’usine Skoda. Je ne voulais pas partir ! Mais pas du tout ! Je voulais m’enfuir ! Comme je ne voulais pas travailler pour les Allemands et que le maquis n’était pas encore formé, j’ai donc décidé de rejoindre l’armée de De Gaulle. Je n’avais pas d’autres choix ! J’ai su par des copains qu’il y avait un réseau à Taponnat, dirigé par M. Blanc, propriétaire d’un café, qui s’occupait des réfractaires du S.T.O. Je me suis donc mis en relation avec le foyer de résistants de Taponnat.

Evasion vers l’Espagne
Accompagné d’un ami polonais, Edouard Gorskié, nous avons été accueillis par un dénommé « Le Manchot ». Un drôle de bonhomme. Il me mit le canon de son revolver sur la tempe pour nous dissuader de parler et nous fit bien comprendre que si, l’un de nous parlait, nous serions descendus. Il ne nous a pas demandé d’argent, mais en contre partie du voyage, nous devions porter des valises. Le « Manchot », c’était Achille Garnier, agent de liaison du lieutenant Jouffrault de l’O.C.M., « Organisation civile et militaire » la première organisation de résistance créée dès 194O par des civils et militaires. Tous deux seront arrêtés par la « Gestapo » en août 1943. Le café Blanc était le contact de l’O.C.M. à Taponnat.

Photo J-P  Faure 2O14
Le café Blanc à Taponnat (état de 2O14)
                                                               
Notre curiosité n’a pas un seul instant été éveillée par le curieux contenu, peut-être de la viande et autres denrées. Nous sommes partis le 7 mai, trois jours après notre rencontre avec la résistance du coin.
Le départ a lieu à Taponnat. Nous prenons le train en direction de Limoges. Là, nous prenons le « Paris- Port-Bou », via Elne près de Perpignan. Le 8 mai 1943, vers une heure de l’après midi, nous arrivons enfin à Elne. Nous prenons un repas sur le pouce et prenons un petit autobus pour atteindre les premiers contreforts des Pyrénées. Nous étions une dizaine à vouloir passer la frontière espagnole. Le 8 au soir, nous rencontrons notre passeur. Il ne nous inspirait pas tellement confiance. Il avait une tête de gitan, de contrebandier pas très catholique, mais il fallait passer. Je payais la somme de 12 OOO frs pour le passage de mon ami et du mien – il n’avait pas un sou en poche. A cette époque un salaire ouvrier moyen était autour de 2OOO francs par mois. Notre passeur nous accompagne durant tout le voyage, que nous effectuons à pied. Ce sera une très longue marche dans la rocaille, les éboulis… jusqu’au 12 mai au matin, jour où nous sommes arrêtés par « la Guardia » (police espagnole). Notre passeur nous avait laissé près de la frontière. Nous avons marché sur cinq ou six kilomètres et étions à quelques centaines de mètres de Figueras lorsque la Guardia nous fit face. On nous incarcère à la prison de Figueras, jusqu’au 14 juillet 1943 ; nous étions 13 en cellule.
Note : Trompé par la prononciation, Fourgeaud écrit: « L’Armada », la Marine en espagnol.  Mais c’était bien la  « Guardia civil », la Gendarmerie espagnole, qui gardait la frontière.

L’internement
Les conditions de détentions étaient détestables. Le moral était au plus bas, car nous vivions dans la saleté, avec poux, punaises et morpions… Nous manquions de nourriture et le peu que nous avions était infect. Les relations avec les codétenus et les gardiens étaient très mauvaises. Nous recevions parfois des coups pour seule raison, le plaisir de nous battre – J’ai reçu une fois un coup de pied aux fesses qui m’a fait voler sur plusieurs mètres. Nous ne pouvions pas nous rebeller, nous étions toujours sous surveillance. On nous aurait roués de coups sinon. Nous n’avions même pas le droit de regarder par la fenêtre. Les seuls dialogues entre nos gardes et nous étaient leur phrase favorite « Viva Franco, Viva Espana ! ».  Nous avions seulement deux heures de liberté. Je me souviens de ma première vision d’horreur : vers 5 heures 3O du matin, un soldat allemand, qui avait déserté de son régiment (en France) et qui avait été incarcéré dans cette prison, fut fusillé. C’était horrible pour moi, de voir un homme se faire exécuter comme cela ! Ensuite, on nous a transférés à la prison de Gérone, puis à celle de Barcelone jusqu’au 2O août 1943. J’ai été séparé de mes copains et enfermé pour une nuit à la citadelle de Montjuich, prison militaire qui domine la ville puis, sans savoir pourquoi et j’ai été ramené le lendemain dans une prison de quartier, via Laveana, à Barcelone.

La filière juive américaine à Barcelone
Vers le 2O août 1943, suite à la communion faite à la messe, un prêtre me présenta à un délégué du Joint Committee, un organisme américain dirigé par un nommé Samuel Sequerra.

Note  Le docteur Sequerra, de nationalité américaine, était à Barcelone le représentant d’un organisme juif américain chargé de venir en aide aux réfugiés juifs se trouvant en Espagne. Sequerra était clandestinement en liaison avec un réseau catholique qui faisait passer la frontière aux juifs français ou devenus apatrides en Allemagne et dans les pays occupés. Il rend donc un service au prêtre catholique qui lui a sans doute signalé le désir de Fourgeaud de s’évader. A cette époque, le général Franco avait  déjà compris que l’Allemagne avait perdu la guerre et que celle-ci ne pouvait plus l’attaquer aussi infléchissait-il sa politique vers les Alliés. Il retire en octobre 1943 la division Azul, 2O OOO hommes engagés en Russie. En Espagne, il ne s’oppose pas à l’action de comités comme celui de Sequerra qui recueille des juifs apatrides ayant franchi les Pyrénées qui sont ensuite discrètement expulsés aux frais de Sequerra. Ainsi, un jeune Charentais devient administrativement pour l’Espagne un juif apatride à expulser !!!  Louis Fourgeaud a-t-il jamais réalisé le concours de circonstances qui finalement le rendit à la liberté ?

Grâce à Sequerra, je suis alors considéré comme (juif) apatride et mis en liberté surveillée chez une veuve d’officier de Franco, à l’adresse suivante : 88, calle Zaragoza à Barcelone. Je restais chez elle, jusqu’au 24 novembre 1943. C’était une femme infecte. Je dormais quasiment sur le plancher. On m’avait donné du grillage à lapin pour me constituer un sommier… Mon repas du midi était le même que le soir : trois petites tomates, un morceau de pain… Le jour où je suis parti, elle m’a offert un kilo de figues !  Durant toute cette période, j’avais obligation d’aller tous les jours signer mon acte de présence au commissariat. Ensuite, j’allais à la mission américaine lire ou travailler. Je reprenais mon activité professionnelle et cela me faisait un peu d’argent, de quoi me nourrir un peu. Le 24 novembre 1943, je suis libéré par l’office américain. On m’embarque avec d’autres dans des wagons de bois à destination de Malaga. Nous passons par Madrid et dormons à l’Hotel del Norte, où on nous apporte un bon et vrai repas. Arrivé à Malaga, on m’embarque sur le paquebot « Gouverneur général Lépine » pour Casablanca, où je restais de janvier à mai 1944.


Le paquebot mixte « Gouverneur général Lépine », 1922-1955, de la compagnie de navigation mixte NM Touache. De 1943 à 45, il naviguera sous pavillon britannique entre l’Afrique du Nord, l’Espagne et le Portugal, pays « neutres »Devenu ensuite navire-école à Sète sous le nom de Paul Bousquet, il sera ferraillé en 1975.

II  AVIATEUR  FRANÇAIS  AUX  ETATS - UNIS     (1944-1945)

La guerre
J’arrive donc en Afrique du Nord le 1er décembre 1943. Je quittais la vermine pour la retrouver ! On nous envoie à  la base aérienne de Médiouna, où je suis incorporé dans l’armée de l’Air. J’y reste trois jours. Puis, je suis envoyé au dépôt 209 à Casablanca au camp d’instruction, où je recevais un équipement USA. Je suis ensuite dirigé sur Rabat quinze jours plus tard puis envoyé à Blida, près d’Alger pour passer la visite d’aptitude médicale du personnel navigant. Je suis classé apte et je retourne donc à Casablanca au centre d’instruction du camp de Cazes. Entraînement, marches, sport sous la férule du capitaine Bouhier, un meneur d’hommes ! Je fais alors parti du peloton des élèves caporaux et exécute de nombreuses gardes de jour et de nuit. Nous n’étions pas tranquilles, de nombreux avions survolaient la base, les Arabes venaient nous voler.

Cela dura jusqu’au 14 avril 1944. Le soir, on nous fit changer de vêtements pour un départ mystère. Le 15 mai, vers minuit, nous partons en direction du port où un bateau américain  nous accueille.
A 8 heures du matin, au rapport qui suit le lever des couleurs, nous connaissons le but de notre voyage. L’Amérique et ses écoles destinées aux personnels navigants. Nous vivons trois nuits coupées d’alerte aux U-Boot : tirs de canons et mines marines dérivantes Nous sommes sur le pont des baleinières (canots de sauvetage) chacun avec une bouée dans les mains, le silence s’installe. Notre voyage se poursuit. Je comptais 142 bateaux de toutes sortes dans le convoi. Des hydravions nous accompagnent. Nous arrivons à Norfolk aux Etats-Unis le 31 mai 1944. Nous débarquons le 1er juin 1944. Nous passons l’inspection sanitaire et nos veilles tenues ont été brûlées. Un repas sucré nous est servi et nous essayons nos nouvelles tenues : un pantalon, une chemise et cravate noire. Après quoi, nous prenons le train en direction du Sud. Nous passons par Atlanta, pour nous rendre à la base-école de Selma (Craig Air base) dans l’Etat d’Alabama. Les avions tournent 24 h sur 24 h. Nous effectuons des exercices jusqu’au 5 juillet. Puis, un départ est de nouveau organisé. Direction Denver, le grand centre d’instruction de l’Air Force avec arrêts à Saint-Louis, Kansas City et Pueblo (Colorado), le pays du blé. Je me souviens avoir vu un champ où six moissonneuses-batteuses fonctionnaient en même temps !  Après quelques jours de repos, les cours reprennent. Etudes des armes, des bombes, fusées, canons aériens  de 2O m/m et cours d’anglais usuel. Plusieurs heures par jour, nous allons à la base de  Lowry II près de Denver pour peindre des cocardes russes sur des chasseurs P 39 Bell Airacobra et des bombardiers légers A 2O Boston pour les attaques de chars prévues en septembre 1944 (Aide américaine à l’aviation soviétique. Ces avions passeront par l’Alaska, le détroit de Behring et la Sibérie)



Armé d’un canon de 37 mm dans l’axe, le P 39 Airacobra fut spécialisé 
dans l’attaque des chars en Russie

Nous verrons également des bombardiers B 29 avec quatre énormes moteurs de 35OO CV, des avions pour la guerre aéro-maritime dans le Pacifique. Equipé en réalité de quatre moteurs de 22OO CV, les plus puissants du monde à l’époque, c’est un B 29 qui larguera en août 1945 la bombe atomique. Ecole et cours tous les jours, séances de cinéma, journées d’étude d’identification des avions japonais se succèdent  et toujours des rappels : « Remember Pearl Harbor ». Ce sera notre vie jusqu’au 25 septembre 1944.



Ensuite, direction le Sud et la base de Tyndall Air Field près de Panama City en Floride. Puis c’est le golfe du Mexique. Il y fait très chaud : 25° à 28° dès 1O heures du matin.

Fin septembre 1944, nous subissons un violent cyclone. Les dégâts furent très importants. A la base, les services sont de plus en plus serrés. Premier vol sur un bombardier quadrimoteur B 24 « Liberator ». C’est un vol d’accoutumance : tir avec mitrailleuse sur cibles pendant une mission de surveillance des côtes. Le vol est en haute altitude à 8OOO mètres avec masque à oxygène. C’est très fatigant. Nous effectuons cinq à six heures de vol par jour et ce sera notre régime jusqu’à la fin de décembre. Nous passons des examens d’aptitude. J’obtiendrai les « Ailes de Mitrailleur-Armurier ».

Insigne de brevet américain  de mitrailleur aérien décerné à Louis Fourgeaud
« Flying Bullet Wings »

C’est la fin de ce stage. Je recevais à ce moment là, des nouvelles de France. Beaucoup de drames  et  des copains disparus.

Nous avons dix jours de permission, et le droit de voyager dans un rayon  de 3OO milles – environ 5OO km. Nous formons une bonne équipe de copains. Nous décidons de faire le tour de la Floride. Les bus vont à peu près partout. Nous partons donc vers l’Est, Roland Grand, Lucien Goubard, et moi. Au cours de notre visite, nous tombons sur un restaurant au nom français : le  « Dauphin Bleu ». Le tenancier du restaurant est en l’occurrence un Français. Le souper nous est servi gratuitement. Quelle veine, car nous n’avons qu’un petit budget pour notre voyage. Le soir vers 22 heures, nous prenons le bus. Il possède des w-c ultra modernes ! Nous visitons Miami. Ce sont deux jours de vraie permission. Pour le retour nous passons par Tampa et Panama City. Nous assisterons à la messe de minuit chantée en gospel par les noirs du pays. C’est merveilleux. Le 2 janvier 1945 direction, La Nouvelle Orléans ! Il faut l’avoir vu !

Une fois la qualification de mitrailleur obtenue, nous irons par le train à Shreveport dans le nord de la Louisiane où se trouve la base de Barksdale, notre future base pour l’entrainement sur B 26 Marauder, un bombardier moyen bimoteur très rapide. Il vole à 5OO km/heure, en puissance 2, et décolle à 3OO km/heure, un pur-sang !!

Puis ce sera le début de la formation des équipages. Le premier pilote est le lieutenant Chauchot, le copilote le sergent Maret, le navigateur le sergent Chauvineau, le mécanicien le sergent Rossignol, le radio le sergent Aumatte, le mitrailleur moi-même.


Le bombardier moyen B 26 Marauder équipera six groupes français 
de bombardement à 16 appareils en 1944 et 1945

A partir de ce moment là, nous effectuerons quotidiennement des vols de jour et de nuit. Vers la fin du mois de janvier 1945, un accident à eu lieu, sans dégâts humains mais uniquement matériel. C’était au cours d’un exercice d’atterrissage et de redécollage « Touch and go ». Les moteurs se sont étouffés et l’avion s’est écrasé.

Vers le 1O février 1945, il y eu un autre accident, très grave, au cours d’un vol en rase mottes. L’avion heurte le sol et prend feu. Nous comptons quatre morts : le navigateur, les deux pilotes et le radio. Le mécanicien, Bourgeois, aura de graves brûlures aux mains et le mitrailleur Niecke un doigt de cassé. Nous exécuterons un vol en formation de douze avions sur une distance de mille milles, 18OO kilomètres, avec un chargement de bombes et munitions de Barksdale à San Antonio (Texas) et repartirons ! Nous continuerons l’entrainement en vol jusqu’au 17 février 1945, date à laquelle nous partons pour Détroit à la base de Selfridge dans le Michigan pour un  entrainement très poussé. Le climat est beaucoup plus froid : blizzard et neige cohabitent. C’est là, que nous apprenons la fin du conflit en Europe le 8 mai 1945. Mon cycle d’instruction aérienne s’achève donc le 2O mai 1945, douze jours après la Victoire.

Nous avons quitté l’Amérique avec nos avions pour l’Afrique du Nord au mois de juillet 1945. Mon pilote était le capitaine aviateur Jacques Mitterrand, officier d’active, 1918-2OO9, frère cadet du président de la République François Mitterrand. Il finira sa carrière comme général inspecteur de l’Armée de l’Air. Les Etats-Unis ont livré 33O Marauders et formé leurs équipages et leur relève comme ce fut le cas de Louis Fourgeaud ; Six groupes français ont participé aux campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne.

                                                Carte J-P Faure
Cycle d’instruction de Louis Fourgeaud    (juillet 1944-mai 1945)

Note : Tous les noms de lieux cités dans le texte sont portés sur cette carte

La Libération :

 Quand tout fut bien terminé, démobilisé, je regagnais mon pays et reprenais l’entreprise de mon père à Vitrac-Saint-Vincent en Charente. Ces six années de guerre furent une époque trouble et plus encore après la guerre. Je revenais dans un pays détruit. Entre les USA et la France, on avait l’impression de changer de planète. Tout est en grand là-bas et les Américains étaient des hommes vraiment sociables ; vous ne manquiez jamais de rien.

Je fais toujours parti des Amicales « Air Miles » et « APNFA » (Association du Personnel Navigant Formé en Amérique.)

J’étais évidemment plus sûr de moi après la guerre. Les armées se sont alors rapidement débarrassées de nous. Il a fallu donc faire face, reconstruire ce qui avait été détruit en France et me faire une place en tant que cordonnier dans la nouvelle société.

La guerre n’est pas à vivre, je ne le souhaite à personne !

Conclusion

Ainsi, l’entrainement aérien complet de Louis Fourgeaud a duré dix mois, une durée mise à profit pour une instruction très poussée avec de nombreux vols d’exercice puis une intégration en équipage, tant du point de vue technique qu’opérationnel, qui va durer quatre mois successivement en Louisiane au climat clément avant d’affronter celui rigoureux du Michigan.  Les Etats-Unis, engagés sur deux fronts, en Europe et dans le Pacifique, ont dans un temps très bref développé une force aérienne considérable tant par le nombre que par les performances de ses avions. Dès décembre 1943, l’Air Force était en mesure de lancer tous les jours 1OOO bombardiers sur l’Europe nazie tandis que dans le Pacifique ses avions et ceux de l’US Navy refoulaient l’invasion japonaise.

A la même époque, les aviations allemandes et japonaises, durement éprouvées,commençaient à lancer dans la bataille des équipages hâtivement formés, faute à la fois de temps et plus encore de carburant. Inéluctablement, en dépit d’un noyau de vétérans très expérimentés, la qualité moyenne des personnels navigants baissait.

L’instruction des équipages américains était planifiée en tenant compte à la fois du volume de la force aérienne à maintenir en ligne, des capacités de production aéronautique mais aussi des pertes au combat et par accident. Ce fut une extraordinaire mobilisation industrielle et humaine dans les trois domaines de l’aviation, de la marine et des forces terrestres.

Il était demandé aux équipages de faire 3O missions de bombardement avant d’être relevés soit trois ou quatre mois d’opérations. Les pertes étaient élevées. Les Etats-Unis construisirent 126OO B 17 et 4OOO furent abattus. A titre d’exemple, le 4O1ème Groupe de bombardement américain, basé en Angleterre de novembre 1943 à mai 1945, doté initialement de 6O Forteresses volantes B 17, a perdu 90 appareils, immmédiatement remplacés par des avions neufs et des équipages sortant du cycle d’instruction décrit par Louis Fourgeaud. Faut-il rappeler qu’à cette époque les bombardiers n’étaient pas préssurisés, que les mitrailleurs, comme le reste de l’équipage, volaient sous masque à oxygène par des températures inférieures à zéro degré à une altitude de 8 à 9 OOO métres au dessus de leurs objectifs défendus par la DCA et l’aviation de chasse.

Certes, Louis Fourgeaud n’a pas combattu en Europe, mais ses camarades américains seront engagés contre le Japon à l’été 1945 jusqu’au bombardement atomique d’Hiroshima. Le Japon capitulera alors. Une nouvelle ère pour le monde s’ouvrira, celle de la dissuasion nucléaire qui pendant quinze ans sera assurée par l’aviation de bombardement avant que ne s’y ajoutent les missiles tirés de sous-marins ou de sites terrestres.

Son témoignage est toutefois exemplaire, d’abord par ce qu’il révèle de sa conduite, celle d’un jeune Français patriote qui refuse l’occupation de son pays et qui, pour aller combattre, réussit une évasion de France des plus aléatoires en passant par l’Espagne et l’Afrique du Nord.

Incorporé au Maroc dans l’Armée de l’Air renaissante avec l’aide américaine, volontaire pour le personnel navigant, il suit aux Etats-Unis la formation des équipages de bombardiers, une formation longue, dure et  méthodique dont il nous donne un témoignage précis, celle d’une exigence d’excellence technique et humaine dans la durée qui, depuis l’origine, est toujours celle de l’aviation et des Armées de l’Air..


Jean-Pierre Faure

                             le 25 mars 2O15 à Versailles


Reproduction totale ou partielle autorisée à condition de citer l'auteur J-P Faure (site Résistance Sud-Ouest, 2018)